Qui se souvient de sa toute première cuite ? C’est difficile de l’oublier, quand une bande de copains exige qu’un gosse ingurgite une quantité incroyable de bière pour intégrer leur cercle. Ce blogueur a subi ce bizutage qui ne dit pas son nom. Il s’en souvient encore.
Je m’en souviens comme si c’était hier. A l’époque, il n’y avait pas encore la guerre. Les gens avaient le temps de s’amuser, les gamins aussi. J’étais encore à l’école primaire. J’avais l’âge de l’innocence, l’âge où rien ne vous touche. On n’habitait pas très loin du camp Cibitoke. Les militaires n’étaient pas encore occupés à guerroyer. Ils avaient du temps pour faire du sport. Le terrain où ils venaient jouer au foot se trouvait à côté de l’Ecole Primaire de Cibitoke où les enseignants s’échinaient à m’alphabétiser. Mais la tâche ne leur était pas facile car tout était amusement et distraction pour notre bande de gamins.
Parmi les militaires, il y avait « abarikiri », les recrues qui venaient d’être mutées au camp Cibitoke après la rude épreuve d’instruction. Ils étaient à peine plus âgés que nous. Eux, ça a été un formidable coup de chance de les rencontrer. Rapidement, on est vite devenu copains, et pour cause le terrain sur lequel ils venaient jouer était en quelque sorte notre cours de récréation. Un bon jour, après l’entraînement, ils nous ont appelés, mon copain Nana et moi. « Mwe ko umenga muracafise amaberebere ku munwa muramara ikiyeri ? », a dit négligemment celui qu’on appelait Kodo. Une onde d’indignation a fait pâlir nos visages frêles. Evidement, on a protesté contre ce « manque de respect ». Personnellement, j’avalais souvent des gorgées de bière de maman chaque fois qu’elle me le permettait, mais je n’avais pas encore bu toute une bouteille.
Musalac, là où tout a commencé
Les Burundais sont parfois de vrais pince-sans-rire. Non loin de chez moi, il y avait un bar qui s’appelait, ni plus ni moins, Musalac. En fait, Musalac était une farine de bouillie pour enfants fabriquée à Musaga. Va savoir pourquoi le proprio n’a trouvé que ce nom pour son bar. Mais toujours est-il que quand Kodo et sa bande de trouffions nous ont demandé si on connaissait là où on vend « Ibiyeri bishasha », j’ai tout de suite répondu « Musalac ».
Nous voilà bien partis pour faire la connaissance de Bacchus. Ils étaient 4 jeunes militaires, on était deux, on marchait devant eux, tels des moutons qu’on amène à l’abattoir. Musalac n’était pas un bar comme les autres. Il n’y avait pas de chaises. Les clients s’asseyaient sur les caisses de bières vides. Le serveur fit vite de nous en procurer, et à Kodo de crier « Bière pour tout le monde » (une phrase qui, soit dit en passant, me fait toujours plaisir à entendre) et c’est à ce moment que Nana se dégonfla : « Je nshaka ifanta » (Moi je veux un fanta Ndlr). Une vague de honte couvrit l’assistance. Kodo lui demanda de quitter immédiatement le groupe, et il sortit la queue entre les jambes. Kodo se tourna ensuite vers moi, visage renfrogné, pour me demander si moi aussi je prenais encore un fanta. Je lui répondis que la bière me connaissait, je buvais depuis que j’étais né.
« Lever matin n’est point bonheur. Boire matin est le meilleur »
L’affaire fut entendue. Quelques minutes après, une bouteille de Primus trônait entre mes jambes. Une onde de virilité juvénile se diffusa dans mon corps. Une première et longue gorgée sous le regard attentif de Kodo, le liquide descendit doucement dans ma gorge. Le gaz remonta dans mes narines, des larmes de plaisir perlèrent dans mes yeux. Je déposai doucement, mais d’un geste sûr, la bouteille entre mes jambes. Kodo me tapota l’épaule : « Tu es un homme ! ». Un petit sourire de fierté effleura mon visage. Quelques gorgées plus tard, un sentiment de bien être jaillît de mes entrailles, et mon visage brilla de mille feux. Des blagues, des rires, des tapes. Je venais de me fabriquer de « vrais » copains. Ma bière n’était pas encore à sa moitié que les troufions avaient déjà commandé une deuxième. Ils buvaient comme des éponges mes nouveaux copains. Je commençais à sentir la tête tourner, mais je m’efforçais de faire bonne figure devant mes soiffards de copains. Il fallait faire oublier l’impair commis par ce couillon de Nana. A la fin de la bouteille, j’étais totalement ivre. Je riais de tout et de rien. On a quitté le bar à 18 h, il fallait bien que les soldats regagnent leur caserne.
« Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire »
Les soiffards d’amis partis, la piste séparant Musalac de chez moi devint très étroit d’un coup. Mes jambes devenues raides, j’avais l’impression de glisser sur la petite route en terre battue. Un tapis volant semblait me transporter vers chez moi, mais j’avais très peur de tomber du tapis à tout moment. Je me traînai jusqu’à la maison. Je suis passé par-derrière, et coup de chance, il y avait une chaise. J’ai posé mon derrière dessus. Et c’est là que tout a commencé à tourbillonner. Je me balançais involontairement en avant et en arrière. Le domestique s’est approché de moi pour demander ce qui n’allait pas, et là l’échec, le drame absolu arriva : bouammm !!! J’ai vomi. Le domestique a couru appeler ma mère, et hop le trou noir. Je me suis réveillé le matin dans mon lit avec une atroce migraine. Une cuite, une honte, un baptême de feu.
Pole sana parfait hh