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De l’autre côté des portes closes de Kamenge

Derrière la vie en apparence facile des filles graciles et généreuses des quartiers populaires, peut se cacher une réalité moins reluisante : celle des gens cupides qui profitent de la détresse des filles en difficulté pour les exploiter. Mais, ils ne perdent rien à attendre, le bras de l’administration est long. Immersion.

Produire un texte sur le proxénétisme ? Il y a des jours où on se lève du mauvais pied. Mais en attendant, il faut trouver un moyen de pondre un texte crédible, c’est-à-dire qui sent la prostitution et les maisons closes à plein nez. Je me creuse les méninges et je me rappelle d’une amie qui fait du commerce « Kuri Dorsale », une rue qui divise Kinama et Cibitoke. Vite fait, on se fixe rendez-vous au téléphone. Le soir, je me pointe à son domicile. Et pour « détendre » l’atmosphère, je lui sors un « Je veux voir les p…tes ! ». La pauvre manque de s’étrangler.  Je prends donc le temps de lui expliquer ce que je veux et pourquoi. Voilà qu’elle me file  le numéro d’une fille « qui pourrait m’intéresser». Un rendez-vous est vite fixé.

Kamenge brille de ses mille  feux

Direction Kamenge, 11ème avenue, the place to be pour  celui qui veut s’amuser. Un bar, des chaises en bois couvertes de peau de vache. La musique est trop forte. Des filles plus coquines les unes que les autres sirotent tranquillement leurs bières. Certaines sont éméchées et se trémoussent sur une musique congolaise dont je ne connais pas le titre. Le son est très fort. Plus loin, un hôtel qui ne paie pas de mine. Un attroupement attire mon attention. Au milieu, une fille et un garçon, tous jeunes, sont en train de s’écharper. Je vais aux nouvelles. On m’explique l’origine de la dispute. Les deux se sont convenus d’une somme et sont allés se « reposer » dans l’hôtel dont je viens de parler. Au moment de quitter la chambre, alors que le garçon essayait de remettre ses habits, la fille lui a subtilisé le billet de 5 mille Fbu qui lui restait dans la poche arrière de son short en jean. 2 ou 3 coups de poings échangés, les deux « amants » se quittent.

L’objet de ma visite me revient en tête. On va l’appeler Mamy*  pour garantir son anonymat. Elle a la cinquantaine. Elle habite tout près de la fameuse 11ème avenue. Elle porte des pagnes. Elle n’est pas du tout gênée que son amie m’ait refilé son contact. On va s’asseoir au bar qui vomit des décibels. Difficile de parler, la musique est tellement forte. Après une bière vite avalée, on s’en va trouver un coin tranquille. C’est elle-même qui l’affirme, elle « gérait » 24 filles. Quand un affaire se concluait ce n’est pas les filles qu’on payait, mais elle. Elle prélevait plus qu’une dîme. La moitié de ce que les filles gagnaient tombait dans ses poches.

Les filles y trouvaient leur compte, les clients aussi

Pourquoi les filles acceptaient-elles de verser la moitié de ce qu’elles gagnent à la sueur de leur… front ? Mamy nous sort directement une phrase énigmatique : « Iminsi irasa ntingana ». En fait, elle possède une parcelle et plusieurs chambrettes où « ses » filles étaient logées. Elles ne payaient pas de loyer. La « générosité » de Mamy va plus loin : « Il arrive qu’une fille passe une semaine sans avoir de clients ». Dans ce cas, c’est la reine de la nuit qui assurait le gîte et le couvert pour celles qui étaient au chômage. Il arrivait aussi qu’une fille tombe malade et qu’elle passe des mois sans travailler. Il y en avait même qui étaient hospitalisées ou emprisonnées pour une raison ou une autre. Eh bien, dans tous ces cas, c’est Mamy qui s’en occupait et les filles ne payaient rien. Le client y trouvait aussi son compte parce qu’il savait comment retrouver la fille en cas de pépin. Par exemple, selon toujours la sulfureuse Mamy, le client était sûr de ne pas se faire dévaliser quand il prenait son pied.

Et le business de Mamy périclita…

Un jour d’octobre 2020, Mamy a dû fermer boutique. En réalité, elle avait été mise en garde par l’administration plusieurs fois. Les agents sont venus chasser toutes les filles. Elle a eu beaucoup de chance car elle sait qu’elle aurait pu atterrir à Mpimba pour y moisir plusieurs années.  Et elle a raison. On ne va pas jouer sur les mots, ce qu’elle faisait était, ni plus ni moins du proxénétisme, une infraction que le code pénal burundais puni de deux à cinq ans de servitude pénale et d’une amende de cent mille à un million de francs burundais. Pour information, le code pénal burundais définit le proxénète comme celui qui, directement ou par personne interposée, dirige, gère, ou sciemment finance ou contribue à financer une maison de prostitution.

Pour revenir à Mamy, à cause de ses antécédents, il lui a été interdit de prendre en location les filles sous peine de se voir infliger des sanctions. Mais où sont donc allées ses muses ? Mamy indique que certaines sont parties travailler à Oman. D’autres sont allées vivre dans d’autres quartiers. Il y en a d’autres qui sont retournées chez elles à l’intérieur du pays.

 

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