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La « pestiférée » de Mugendo sort du silence

Son courage a été salué par nombreuses personnes. Mais la missive de Christella Ndayishimiye, élève au lycée communal de Mugendo, dans laquelle elle dénonçait son agresseur, n’a pas pu lui épargner le bagne, accusée de « révélation de secret professionnel », suite à une rocambolesque histoire de tricherie à l’examen. Quid du volet judiciaire de cette affaire ? Retour sur les tribulations de la pestiférée de Mugendo. 

Elle est sortie de l’anonymat de la pire des manières. Nous n’aurions jamais connu Christella Ndayishimiye, si l’horreur des violences basées sur le genre (VBG) ne s’était pas abattue sur elle. Au mois de mars, le monde de la toile découvre une lettre ahurissante. Une jeune fille du lycée communal de Mugendo écrit une lettre au DCE de Ntega pour lui demander protection, car le directeur la harcèle sexuellement. C’est l’indignation générale.

Peu de temps après, l’affaire tombe dans les oubliettes. Ce sont les juges de la TGI Kirundo qui lui donnent une seconde vie. Une ordonnance de mise en détention crée l’émoi dans l’opinion. Les juges accusent la jeune fille de « révélation du secret professionnel », une infraction prévue par le code pénal. De quoi se demander pourquoi le règlement scolaire existe. Derrière cette qualification des faits, on ne peut plus fallacieuse, nous découvrons que Christella se serait procurée frauduleuse un examen. 

La toile se met sur le pied de guerre. Après un recours intenté auprès de la Cour d’appel de Ngozi, alors qu’elle était sur le point d’être embastillée à la prison pour femmes de Ngozi, elle l’échappe de justesse grâce à l’intervention du ministère de la Justice et de la CNIDH. Comment a-t-elle vécu cet enchaînement des événements ? Quels sont les dessous de cette affaire ? La victime nous dit tout. 

Des messages salaces au début…

« C’est à partir du 1er mars que les choses se sont emballées. Le directeur me convoque dans son bureau. J’ai très peur. Mais en réalité, il a commencé à m’envoyer des messages salaces dès le deuxième trimestre. Ce jour-là, quand je suis entrée dans son bureau, il a fermé la porte à clé. J’ai remarqué que les rideaux été fermés. Je tremblais de peur. Il m’a attrapée par derrière. J’ai essayé de résister. Il s’est collé sur moi. Après quelques minutes, il a éjaculé sur lui. Il a relâché un peu son emprise. J’ai essayé la ruse, en lui expliquant que le prof d’EPS allait se rendre compte que quelque chose ne va pas parce qu’il m’attendait. Je lui ai ensuite promis de revenir. Cela l’a convaincu parce qu’il voyait que je portais une tenue de sport. Il m’a laissé sortir ».

Après cet épisode terrifiant, Christella est allée voir le préfet des études et l’enseignant titulaire. Elle leur a expliqué toute sa mésaventure et leur a montré les messages que le directeur lui envoyait. Ils ont conseillé à la jeune élève d’aller directement voir le DCE parce que cette affaire les dépassait. Ironie du sort, c’est ce même préfet et l’enseignant de FPH qui seront emprisonnés plus tard. Nous y reviendrons. 

La jeune fille est ensuite allée voir le DCE de Ntega. Elle lui a raconté tout et lui a montré les messages déjà évoqués. Ce dernier lui fera la promesse de s’occuper de cette affaire. Cela a été comme un coup de botte dans la fourmilière. Le DPE est venu en personne à l’école de Christella pour s’enquérir de cette affaire et l’a rassurée qu’il allait suivre cette affaire de près. Il lui a même demandé de continuer ses études normalement.  

« J’ai été étonnée d’être convoquée par le procureur de la République plus tard. Quand il m’a entendue, j’ai compris qu’il ne savait rien de ce qui m’était arrivé. Après l’audition, il m’a dit de rentrer, qu’il me convoquera quand le directeur sera là. Il s’en suivra des menaces envers moi et ma mère. Au téléphone, les amis du directeur ont dit à ma mère qu’elle au moins s’en sortira, mais qu’en ce qui me concerne, mon sort était déjà scellé. J’apprendrai plus tard qu’après l’audition le directeur est retourné au service. On n’a même pas pris la peine de m’avertir », se désole la jeune fille. 

Un dossier dans un autre dossier

Par la suite, on essaiera d’utiliser la jeune fille pour écarter le préfet des études qui ne marchait pas dans la combine du directeur. Un ami de ce dernier aurait demandé à Christella de témoigner que le préfet lui a donné un questionnaire d’examen. Mais Christella refusa. Puisqu’elle ne voulait pas, elle aussi portera le chapeau. C’est comme ça que l’histoire de tricherie à l’examen est née, d’après elle. Comme elle l’affirme, elle s’est procuré des épreuves-types comme tout le monde. Certaines des questions qui figuraient dans les épreuves-type qu’elle avait partagées avec certains élèves sont revenus à l’examen. 

Dans le cours de FPH, elle a obtenu 20/30 et a fait une réclamation de 2 points ce qui lui a fait un total de 22/30. Le DPE qui avait eu vent de cette histoire de tricherie est passé faire une petite enquête et a d’abord conclu qu’il n’y avait pas tricherie et est reparti avant de revenir sur sa décision plus tard, lorsqu’un groupe d’élèves ayant échoué a mis sur la toile une pétition mentionnant encore la tricherie en question. Ce groupe aurait été manipulé par le directeur et ses compères. Mais toujours est-il que le DPE décidera d’annuler l’année scolaire de Christella à la veille du début de l’examen d’Etat.  

Toute cette machination, explique la jeune fille, ne visait qu’à écarter le préfet, l’enseignant de FPH et elle-même, afin de faire d’une pierre deux coups en étouffant l’affaire de harcèlement et de tentative de viol. Ayant senti que cette affaire était en train de prendre une autre ampleur, Christella écrira une lettre au gouverneur de Kirundo pour lui demander protection, une lettre restée sans réponse. Le lendemain, alors qu’elle répondait à une convocation du DPE au lycée Mugendo, elle sera écrouée. 

Le calice, jusqu’à la lie !

Une affaire qui concernait au départ le harcèlement et abus sexuel s’est transformée en tricherie, faite en connivence avec le préfet et un des enseignants du lycée. Christella a passé sa première nuit dans le cachot de la commune Ntega, c’était mardi le 27 juin 2023. Le 30 juin, elle était au parquet pour instruction du dossier où elle restera en détention jusqu’au 16 juillet. Les juges ‘’basamaye’’ lui ont collé l’infraction de ‘’révélation du secret professionnel’’ et ont pris une ordonnance de mise en détention qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Ces mêmes juges viennent d’écoper d’une mise à pied de 2 mois, une sanction que certains trouvent trop clémente. 

Christella, elle, était à deux doigts d’entrer dans la prison de Ngozi réservée aux femmes, quand un véhicule est arrivé à toute allure pour arrêter la procédure. Alors qu’elle était en train d’être fouillée, un monsieur est sorti du véhicule et lui a annoncé, sans excuses ni compassion, encore moins de contrition : « Imana usenga irakomeye ». (Le Dieu que tu pries est puissant, Ndlr) 

Il lui a été annoncé qu’elle ne sera finalement pas emprisonnée, qu’on lui accordait la liberté provisoire, mais qu’elle devait se présenter à la justice chaque fois que de besoin. Un véhicule la ramènera à Kirundo nuitamment. Le comble de malheur, puisqu’il faisait déjà nuit, elle a dû passer une autre nuit au cachot du commissariat puisqu’on ne savait pas comment la loger autrement. On appelle ça boire le calice jusqu’à la lie. 

Dans la fosse aux lions

Le lendemain, elle sera reçue par le gouverneur de la province de Kirundo. Etaient également présents le procureur de la République, le commissaire provincial et d’autres personnalités. Imaginez une jeune fille traumatisée par tout ce qu’on vient de vous raconter, dans le bureau du gouverneur, en présence de grosses pontes de la province, toute seule ! Elle a pris son courage à deux mains pour demander au gouverneur si elle pouvait s’entretenir avec lui seul. C’est alors que ce dernier a fait sortir tout le monde. Il confirmera, pendant cet entretien, qu’il a bel et bien reçu la lettre que Christella lui avait envoyée quelques jours plus tôt, mais qu’il n’avait pas encore eu le temps de lui répondre. Il fera ensuite la promesse à la jeune fille de suivre désormais son cas avec attention. Christella sera remise à l’administrateur de Ntega qui s’est chargé de la ramener chez elle à la colline Makombe de la zone Mugendo où nous l’avons rencontrée. 

Qui veut tuer son chien l’accuse de rage

Quid du volet judiciaire ? Au départ, il s’agissait d’un cas de Violence Basée sur le Genre (VBG) où un directeur a essayé d’abuser sexuellement d’une jeune élève sous sa responsabilité. Christella a été convoquée par le procureur qui l’a entendue, ce qui suppose que le procureur savait les lourdes charges qui pesaient sur le directeur. La victime a dû écrire deux lettres, une au DCE de Ntega et une autre au gouverneur de Kirundo pour crier sa détresse. 

Or, en matière de VBG, la protection physique et l’intimité de la victime et des témoins est une obligation selon le prescrit de l’article 28 de la loi n° 1/13 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre. Toute personne sensée aurait compris que si la personne présumée victime de VBG initialement est accusée de tricherie à l’examen, il y a anguille sous roche. Qu’a fait le ministère public pour protéger la victime ? S’il avait agi avec diligence, il n’y aurait peut-être pas eu cette affaire de tricherie. Le préfet et l’enseignant de FPH mis en cause dans cette affaire croupissent toujours à la prison de Ngozi, a affirmé l’avocat de Christella. C’est le chef d’accusation de « révélation du secret professionnel » qui pèsent sur eux. Comme par hasard, c’est à ces mêmes personnes que Christella avait raconté le comportement criminel du directeur.  

Epilogue

Aujourd’hui Christella est en liberté provisoire. Comme une vilaine criminelle, elle doit se tenir à la disposition de la justice. Elle n’a pas été blanchie de l’affaire de tricherie ou de « révélation du secret professionnel » comme l’ont qualifié les juges. En passant, si les juges ‘’basamaye’’ en qualifiant les faits, il reste à savoir s’ils ont seulement été distraits, comme l’a dit la ministre de la Justice ou s’ils étaient simplement de mauvaise foi, dans ce cas deux mois de mise à pied ne suffirait plus. 

Quid du directeur ? A l’heure où nous mettons en ligne cet article, nous apprenons que M. Oscar Nemeyimana aurait été écroué à la prison de Kirundo, ce 27 juillet. Espérons que le procureur y mettra le paquet, comme il l’a fait pour la première affaire. On dit que la justice sépare le criminel de la victime, mais aussi le criminel de son crime. Dites la loi messieurs les juges. Rien que la loi !

 

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Les commentaires récents (13)

  1. Je vous remercie beaucoup puisque vous avez fait une enquête suffisante à cette affaire.Mais je me pose beaucoup des questions,qui est l’auteur de cette inflaction? Pourquoi le ministère public ne prend pas un temps suffisant pour analyser cet affaire ?

  2. C’est vraiment important de nous partager l’article.vous avez écrit dans un style intéressant et attirant.c’est bon.courage.merci

  3. None jewe ibinyamakiru vyuburundi birantwenza mubwira amakuru abanyamahanga canke abarundi hariya mwVuze ngo ushaka kumenya uko vyabandanije ati fyonda hano umuntu afyonde asange nibifaransa nihatari

    1. None vyooose ni mpaka mu Kirundi? Mbe mushaka ko abanyamahanga batmenya ububegito bubera ngaha bukozwe n’ababwirizwa kwamira? Reka bamenye ukuri apana kuza murabahenda ngo igihugu ni nyabagendwa naho huzuyz amafuti gusa aho abantu bakuze bakora amafuti nk’ayo ku barerwa; emera dutwengwe

  4. J’ai lu avec intérêt votre article, j’ai la chaire de poule. La justice burundaise fait la honte nationale. Même la ministre a la mauvaise foi comme les juges. « Gusamara »? Non! J’en ai mal