La légalité à elle seule ne suffit pas parfois. Si non, les enfants d’un veuf remarié légalement à une deuxième femme, devraient-ils recourir à la violence pour la chasser après la mort de leur père ? Même en cas d’un différend, il doit y avoir des limites. Quid des frères qui maltraitent une femme qui cherche un moment de répit chez sa maman, parce que sa belle-famille s’est liguée contre elle après la mort de son mari ? Tout cela, Faida l’a vécu et elle en a gardé des séquelles, une vraie balafre du destin. Récit.
« Uwarushe ntaruhuka », un proverbe rundi qui pourrait s’appliquer parfaitement au cas de Faida Nahimana, 35 ans, de la zone Munini, en commune et province de Bururi. Elle épouse légalement un veuf avec qui elle vit une histoire d’amour. De cette union, naissent 2 enfants. Sauf que les enfants du premier mariage ne digèrent pas cette marâtre qui vient ‘’s’immiscer’’ dans leur famille.
A la mort du père de famille, la vie de Faida se transforme en enfer. Les enfants ne veulent plus de la marâtre qu’ils haïssaient déjà du vivant de leur père. Ils ne comptent pas lui faire de cadeaux. L’idée est donc tout bonnement de la chasser de la propriété familiale le plus rapidement possible et en usant de toute sorte de méchanceté. Quand Faida va chez sa mère pour y passer un moment de répit, deux des enfants de son défunt mari en profitent pour détruire sa maison. Et quand elle revient, elle est accusée d’avoir abandonné sa belle-famille. Ses champs ont été déjà saccagés ou pillés. Malgré son courage, dame Faida cède au désespoir, surtout que quand elle se réfugie chez sa mère avec ses enfants, c’est au tour de ses frères de la maltraiter, convaincus qu’elle veut s’imposer pour partager la propriété paternelle. Faida se retrouve alors entre le marteau et l’enclume.
La jouer quitte ou double
Prenant son courage à deux mains, Faida décide un jour de réclamer justice. Elle commence par le bas de l’échelle en mars 2020. Le ‘’Nyumbakumi’’ qui devrait être impartial prend la partie des enfants du premier mariage. Il va jusqu’à dénigrer les plaintes de Faida en lui disant qu’elle pouvait aller demander la terre à son père, puisqu’elle avait décidé d’elle-même de quitter sa maison. « Canke so hari uwundi (mugabo) yakurondereye ? » (Ou ton père t’a trouvée un autre mari ? Ndlr), la nargue-t-il. Il refuse même de statuer sur son cas et lui crache à la figure qu’elle peut allez se plaindre où elle veut, mais qu’elle ne gagnera jamais le procès.
Faida décide alors de la jouer quitte ou double. En février 2021, sans le PV des notables collinaires, puisqu’on refusait de statuer sur son cas, elle se rend au Tribunal de résidence de Bururi où on l’accueille convenablement. On l’écoute attentivement. La machine est lancée, mais c’était sans compte sur les manœuvres dilatoires que l’autre partie au procès usera pour la décourager. Les moqueries, les insultes, l’intimidation n’auront jamais raison de la détermination de Faida. Elle subira même la violence de la part des enfants de son défunt mari, mais elle ne renoncera jamais à revendiquer ses droits.
Le temps lui donnera raison, car elle gagnera le procès. L’exécution du jugement a eu lieu le 12 octobre 2023. En attendant le PV d’exécution, Faida reste toujours chez sa mère où ses frères ont compris qu’elle n’était pas là pour reluquer la propriété foncière familiale, mais plutôt qu’elle a fait face à des enfants cupides qui avaient décidé de la traumatiser afin de la chasser.
Une histoire qui a laissé des traces
Au-delà des violences économiques et physiques qu’elle a subies, dame Faida a été touchée dans son être. Cette histoire de cupidité et de méchanceté a laissé des traces indélébiles. Son verbe est hésitant. Il faut parfois répéter deux ou trois fois la même question avant qu’elle puisse répondre. Parfois, on a l’impression qu’elle est absente. Mais lorsqu’elle finit de ruminer les questions qu’on lui pose, un flot ininterrompu de paroles fuse de sa bouche, impossible de l’arrêter. Et quand elle a fini de parler, elle a tout dit, elle a même répondu aux questions que vous n’avez pas encore posées.
Faida ne regarde jamais son interlocuteur dans les yeux, comme si cette terrible histoire qu’elle a vécue a fini par couvrir d’une chape de plomb sa dignité. On sent sa vulnérabilité quand on passe deux minutes avec elle. C’est avec les larmes aux yeux qu’elle nous a relatés comment les agents du Cafob l’ont sortie de l’abime. « Sinari kubishobora iyo batamfasha, hari n’igihe nari kuba narapfuye ». (Je n’y serais jamais arrivée toute seule, je serais peut-être morte à l’heure qu’il est, Ndlr)
Faida a gagné le procès. Et l’exécution a eu lieu. Le tribunal est déjà allé sur terrain pour effectuer les vérifications d’usage. En théorie, les terres qu’elle réclamait lui ont été restituées. Sauf que tout cela n’a rien arrangé par rapport aux craintes d’une femme très traumatisée. « Abategetsi bataje kumpagarikira, naho bazonshikiriza, ntibizokunda ».