Les violences politiques qui ont secoué le Burundi ont fauché la vie des milliers de Burundais. Ce qui reste discutable toutefois, faute de statistiques crédibles, c’est le bilan chiffré de ces violences, chaque camp, chaque ethnie voulant tirer la couverture de son coté. Le recensement de toutes les victimes que prévoit la CVR pourra-t-il réconcilier nos mémoires?
Ce n’est plus la peine d’en discuter. Des milliers de personnes ont été tuées au cours des différentes crises qu’a connues le Burundi. Et ce, dans toutes les ethnies. Pour s’en rendre compte, un petit retour dans le passé s’impose.
En 1965 par exemple, lorsque le Burundi commence à sombrer dans l’ethnisme, des violences meurtrières vont avoir lieu. Des gens vont mourir en masse. A Busangana, à Bukeye, nous sommes dans la province de Muramvya, c’est un millier des personnes, des tutsi, qui vont périr. En répression, plusieurs dignitaires hutus seront exécutés, accusés d’avoir orchestré le coup d’Etat contre Mwambutsa, l’avant dernier roi du Burundi.
Les violences meurtrières, c’est aussi en 1969. A l’époque, c’est le régime de Micombero qui se paiera la peau de plusieurs officiers hutus, eux aussi accusés de vouloir renverser l’homme fort de la première république.
1972-1993, le summum
Par les temps qui courent, elle est de loin la plus commentée des violences meurtrière que connaîtra le Burundi. J’ai nommé la crise de 1972. Sans m’aventurer sur le terrain glissant des statistiques exactes (ceux qui l’on déjà fait sont loin de faire consensus), le fait est que des milliers de Burundais ont été sauvagement assassinés du fait de leur ethnie. Tutsi et hutu. Les premiers, essentiellement par une rébellion qui a éclaté au sud du pays. Les seconds, par le régime Micombero dans son entreprise de répression. Une répression des plus aveugles qui emportera des milliers des personnes parmi les hutus. Il y en a qui parlent de génocide mais la question est loin d’être tranchée.
Les violences meurtrières, c’est aussi en 1988 lorsqu’en août, plusieurs tutsi sont massacrés dans les communes de Ntega et Marangara avant que la répression ne cible que des hutu. Si les violences ont été vite contenues, 1988 ne reste pas moins symboliques comme l’une des pages les plus sombres de l’histoire du Burundi.
Mais plus grave, c’est ce qui s’est passé en 1993. L’horreur. L’inimaginable. L’assassinat d’un président en exercice, le premier hutu à diriger le Burundi républicain. Le drame aussi, c’est les massacres, quasi systématique dirigés contre les tutsi, à travers presque tout le pays. Des milliers d’entre eux vont donc trouver la mort avant que l’armée ne soit accusée de cibler les hutu dans la répression. Mais ici aussi, les statistiques exactes restent une denrée rare. Comme pour les autres violences, bonjour la concurrence et la sélection des mémoires.
En finir avec la sélection et la concurrence des mémoires
1965, 1969, 1972, 1988, 1993 sont là comme des symboliques en ce qui concernent des violences meurtrières. Ce sont là aussi des dates qui propulsent sur le devant de la scène la compétition et la concurrence des mémoires. Ici, chaque ethnie, hutu et tutsi en l’occurrence, revendique la souffrance. Le « Eux et Nous » devient la règle. Des identités qui finissent par devenir meurtrière pour paraphraser Amin Malouf.
Mais pourrons-nous un jour sortir de cette lutte mémorielle caractéristique de la conflictuelle histoire du Burundi ? C’est ce que semble promettre la Commission Vérité Réconciliation. Comme on peut le lire dans son communiqué, cette commission compte procéder à un recensement des données sur les personnes disparues ou assassinées. Elle compte aussi recenser les personnes qui se sont distinguées dans la protection des vies humaines, de même que les victimes ayant accordé le pardon et les auteurs ayant bénéficié du pardon avant d’embrayer sur le processus de qualifications des crimes.
Sacré boulot en perspective, mais qui ne laisse pas moins optimiste Aloys Batungwanayo, commissaire de cette commission pour qui ce recensement aidera à se préparer pour un processus de réparation, à sortir de la globalisation et à l’individualisation des victimes.
Moi, j’ai juste envie de dire que la tâche est immense. Que les enjeux sont lourds. Délicats. Que les statistiques qui sortiront de ce recensement, si fait objectivement, pourront faire taire les spéculations des uns et des autres. Que la concurrence et la sélection des mémoires peuvent disparaître si le travail est bien fait. Les récentes activités de cette commission ont été tout sauf consensuelles. Osons espérer que ce recensement en vue pourra changer la donne en mettant fin à la compétition mémorielle qui a pignon sur rue.