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Débat : Rumonge, le point de départ du « fléau » de 1972 ?

1972,  année de l’horreur ayant vu le massacre des milliers de Burundais, est parmi ce qu’il y a de plus mémorable des crises qu’a connues le Burundi. Aujourd’hui, quarante-huit ans après, que connaissent les jeunes et moins de jeunes de cette tragédie ? Un débat organisé par la radio Isanganiro à Rumonge a permis de recueillir les perceptions individuelles autour de ces questions. 

L’origine de la crise de 1972 est le prolongement d’une crise née après Rwagasore. C’est d’emblée l’avis de Mukorumbone Feruzi, habitant de Rumonge. Lui qui a connu la prison en 1969 raconte qu’en 1972, il y a eu un  génocide des Hutu. 

Pour Birasi Singambi, si la période de la monarchie était stable, ce ne sera pas le cas en 1965 lorsqu’il y eut la tentative de coup d’État contre le roi. Michel Micombero, chef de l’armée à l’époque, en profitera pour faire exécuter les auteurs de cette tentative de coup d’État. Après, raconte toujours M. Singambi, les Hutu auraient tenté de tuer les Tutsi, jusqu’en 1972. Pour preuve, avance-t-il, bien avant en 1971, un navire en provenance du Congo aurait déjà ramené des machettes.

Singambi ajoute : « Après, ce sont ceux qui sont connus comme des Mulele qui tueront des Tutsi ou des Hutu qui les ressemblent. La suite, c’est l’intervention de l’armée qui fera pas mal de dégâts, des assassinats des Hutu ».

Ces explications de Feruzi et Singambi rejoignent un peu celles de l’Historien Jean Marie Nduwayo. Lui qui explique que le déclenchement de la crise commence lorsque le 29 avril 1972, le ministre de l’Intérieur André Shibura tient une réunion à Rumonge. De retour de la réunion, Shibura tombe dans une embuscade. Il parvient à s’enfuir, mais ceux qui étaient dans la même réunion n’auront pas cette chance et seront tués par les « Mulele ». La même scène se déroule à Rumonge, à Vyanda et à Vugizo en passant par Nyanza-lac où des Tutsi sont ciblés. 

L’intervention de l’armée viendra un peu tardivement, dans une répression qui n’épargnera pas les Hutu, sans aucune distinction.

« Une crise mal gérée »

« En réaction aux massacres, les autorités recommandent aux habitants, des hommes hutu et tutsi de faire des rondes. De surveiller l’ennemi, ces Mulele. Aux autres, des femmes et enfants de toutes les ethnies, de se mettre à l’écart. Ce n’est qu’après qu’il y aura des listes, avec des noms désignés des Hutu. Et souvent, ils partiront pour ne plus revenir ». C’est ce qu’explique Cyriaque Nzeyimana, originaire de Vyanda. 

Pour Dismas Nkezimana, « le 29 avril, au début de la crise, il y a eu confusion. Le gouvernement ne connaissant pas les auteurs de la crise et aurait pensé que c’est peut-être une tentative de ramener le roi Charles Ndizeye au pouvoir par les gens de Muramvya. C’est pourquoi, il est tué le même jour. » Une explication qui ne convainc pas le Professeur Jean Marie Nduwayo pour qui cela est plutôt l’argument de Micombero.

Le professeur ajoute : « C’est aussi un pouvoir qui était au courant que quelque chose n’allait pas. Et  par coïncidence ou pas, Micombero avait démis le gouvernement le même jour, prenant le soin de nommer les gouverneurs militaires. C’est aussi un pouvoir qui sera impitoyable envers ceux qu’il qualifiera de ‘‘Abamenja’’. Par ailleurs, c’est un pouvoir qui instillera la haine. Une haine qui sera à l’origine des nombreuses crises qui se sont succédé. »

Pourtant, estiment Ndayisenga Egide et Dévote Kaneza, cette haine aurait pu être évitée. « Les pouvoirs publics de l’époque se comportaient très mal, n’hésitant pas à confisquer les biens de la population. » 

Et ce ne sera pas sans conséquences 

Principale conséquence de cette crise, selon Chanelle Dushime, c’est la haine ethnique, avec un pouvoir incapable d’établir des responsabilités individuelles. Ce qui n’est pas sans inhiber le développement, comme le suggère Aurélie Akimana. Et Fidélité Dukundane d’avancer d’autres conséquences : « Des mariages interethniques devenus problématique, jusqu’aujourd’hui ». 

Mais pour l’historien Jean Marie Nduwayo, la plus grande conséquence se trouve au niveau sociétal,  parce que  les victimes parmi les Hutu étaient pour la plupart instruits ou parmi les plus connus dans la société. Suite à ça, les parents hutu hésiteront à envoyer leurs enfants à l’école de peur de les voir  tués. 

Au niveau politique, l’historien souligne une exclusion ethnique dans les administrations, de même qu’au niveau de l’armée. On y reviendra. 


Dites-nous, en tant que jeunes, les débats sur l’Histoire ont-ils de l’importance ? Dans cette vidéo, des jeunes qui ont l’habitude de participer dans ces débats nous font part de ce qu’ils y gagnent.

 

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Les commentaires récents (5)

  1. Très bon document.
    La manipulation politique n’a pas permis de reconstituer l’histoire de 1972, 1988 et 1993 parce que les pouvoirs publics n’ont jamais voulu établir les responsabilités. Les bourreaux étant au pouvoir, ils tentent de se présenter comme victimes et souvent, les jeunes prennent toujours l’histoire émotionnelle.

  2. C’est bien de nous parler de ces événements malheureux du passé, mais veuillez nous présenter les deux faces de l’histoire: vous nous parlez ces derniers jours des hutus assassinés en 1972, et c’est vraiment triste de perdre des vies comme cela…mais, quelle est la vrai cause de ces assassinats? Qu’en est-il des tutsis qui ont perdu des vies à cette époque? On entend presque jamais parler d’eux! Qu’en est-il des tutsis tués en 1988? En 1993? Bref, s’il faut revisiter notre histoire, essayons de ne pas mâcher les mots et affronter les réalités en face. Présentez-nous les deux faces de l’histoire! Je vous remercie!

  3. Non et non, Rumonge n’a été qu’une étape dans le déroulement de ce fléau. Le vrai départ du feu, il faut le chercher dans les bureaux et salons climatisés des autorités de l’époque. La haine et l’ethnisme ont commencé là-haut où a germé le désir macabre de se débarrasser de « l’ennemi de l’intérieur » pour régner sans partage. Quand on a des allumettes, qu’est-ce qui est difficile : on peut toujours commencer à brûler où on veut.