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Burundi : retour sur le contexte des violences meurtrières de 1993

En 1993, le Burundi retombe dans les affres de la violence. Cette violence débouche sur la mort du président Melchior Ndadaye,  beaucoup de ses collaborateurs ainsi que plusieurs milliers de Burundais. Mais quel contexte a-t-il conduit à l’explosion de la violence ? A Muyinga, un débat sur cette  question a  dernièrement eu lieu.

Lorsqu’on s’adresse aux gens à Muyinga sur la crise de 1993, on est vite frappé par la libération quasi-spontanée de la parole. Cette province a été touchée par la folie meurtrière comme les autres provinces du pays. 

C’est un vendredi après-midi. Jeunes et moins jeunes ont été invités à débattre sur le contexte  ayant conduit aux massacres interethniques. « L’Uprona et le Frodebu, deux grands challengers à l’époque, s’attendaient-ils aux changements qui allaient s’opérer ? ». C’est cette première question qui va lancer le débat. La petite salle est quasi-pleine. Petit moment de  silence puis Athanase Bankumukunzi, habitant du coin prend la parole et pose d’abord le contexte. Pour lui, dès 1991, avec l’agrément des partis politiques et l’émergence de la démocratie,  un vent de changement se fait déjà sentir.

Selon Charles Miburo, les militants de l’Uprona espéraient la victoire. Ils ne s’attendaient pas à la défaite, contrairement aux militants du Frodebu qui ne croyaient pas en une victoire si écrasante. Sur ce qui vient d’être dit par Miburo, Léonard Ndihokubwayo établit une nuance. Il en convient que l’Uprona avec ses quarante ans de pouvoir, ne s’attendait pas à la défaite. Mais les militants du Frodebu quant à eux croyaient en la victoire parce qu’ils avaient enseigné l’idéologie de leur parti avant et durant la campagne électorale.

C’est dans ce même sens qu’abonde le politologue Denis Banshimiyubusa. Il explique qu’à l’époque, le changement de gouvernance n’était pas l’apanage du seul Burundi. Le même courant existait dans d’autres pays. Les Burundais s’attendaient donc au changement de mode de gouvernance. Mais,  ils n’ont pas eu suffisamment de temps pour s’y préparer, selon lui. 

Qui plus est, il était inconcevable pour l’Uprona de quitter le pouvoir après quarante ans. Si le Frodebu s’attendait au changement, il était tout de même inquiet de l’attitude que prendrait  son adversaire en cas de défaite.

Un discours de campagne qui inquiète

Ceux qui ont suivi les élections de 1993 ne diront pas le contraire. La campagne électorale n’était pas de nature à inciter à l’apaisement. Nicolas Ndayishimiye se rappelle qu’à l’époque, des enseignements divisionnistes ont eu lieu au vu et au su de tout le monde. Il donne l’exemple des slogans du Frodebu, tels « Susuruka », « kanura burakeye », « hagarara bwuma ». Du côté de l’Uprona des slogans comme « iteka aho ryamye » ont été lancés dans le but de pérenniser le statu quo. De l’avis de Philomène, c’est cela qui poussera ce parti à  mal réagir après sa défaite. Félicité Rukuza et Jean Dominique sont aussi d’accord que ce sont des messages d’intolérance et  de haine qui ont été à l’origine de la crise de 1993. Pour preuve, avance Jean Dominique, ces discours divisionnistes véhiculés par les enseignements ethniques pénétreront jusque dans les écoles primaires. 

De son côté, le politologue Denis Banshimiyubusa rappelle qu’au début,  c’était des  discours   de campagne des plus normaux et pas inquiétants du tout. C’était d’ailleurs des discours contenus dans les programmes des partis  politiques. Mais ces slogans vont finir par inquiéter.  L’Uprona accusera le Frodebu d’avoir une idéologie divisionniste tandis que les « frodebustes » parleront de Reta mporona, comme pour dénigrer son adversaire.

La descente aux enfers

Comme l’expliquait tantôt Banshimiyubusa, le changement était attendu et s’inscrivait dans un contexte favorable à l’époque. A l’issue des élections, c’est donc Melchior Ndadaye et son parti qui sortent vainqueurs. Cette victoire sera cependant de courte durée. Le « Frodebuste » en chef sera assassiné après seulement trois mois de pouvoir. La suite, vous la connaissez. Cela était-il inévitable ?

Pour Nicolas Ndayishimiye, il y avait des extrémistes de tous bord, chez les tutsi et chez les hutu. Et c’était prévisible que quelque chose d’horrible allait se passer. Par ailleurs, avant qu’il ne soit assassiné, des  tentatives de renverser Ndadaye avaient été faites. 

Ces tentatives de coup d’Etat, Philomène les évoque : « Au début,  il n’y avait  pas de signe avant-coureurs. Mais au fil du temps, des rumeurs ont commencé à circuler. Des rumeurs de coup d’Etat,  ceux qui venaient d’être évincé du pouvoir n’étant pas contents ».

Denis Banshimiyubusa avance d’autres facteurs ayant pu conduire à l’escalade. Ce sont par exemple les premières décisions que prendra le président Ndadaye, notamment le retour des réfugiés, mais aussi le remplacement de la quasi-totalité des fonctionnaires ayant servi l’ancien régime, gususurutsa, comme on disait à l’époque. Ces décisions ne seront pas sans inquiéter ceux qui venaient de perdre le pouvoir. La goutte qui a fait déborder le vase est la réforme de l’armée qui était envisagée. Les chefs militaires de l’ancien régime ne l’entendaient pas de cette oreille.

 

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