L’homme aime boire, de l’alcool, j’entends. Pour un Burundais, c’est plus un fait qu’autre chose. Ce qu’il y a de fascinant cependant, ce sont les raisons que nous avançons pour expliquer cette addiction qui n’est jamais vraiment reconnue, admise comme telle. Ce blogueur nous fait part du moment où il a ouvert les yeux sur sa condition, à travers une page de sa vie. Voici une vraie confession de comptoir.
Il était dix-neuf heures ce soir-là. Il pleuvait des cordes et je me trouvais seul au comptoir. Je venais de commander ma troisième bière de la soirée. Avec diligence, la serveuse m’apporta une bière bien tapée, comme je les aime, et avec un sourire elle lâcha : « Vous ne risquez pas d’avoir de la compagnie ce soir ! ». J’avoue que sur le moment, j’ai eu presqu’envie de lui rétorquer que ça ne serait pas pour me déplaire, mais je sentais qu’elle n’était pas allée au bout de son idée. Je me suis retourné pour lui accorder toute mon attention et c’est en croisant son regard que j’ai cru comprendre ce qui se passait. Oh zut ! Elle a pitié de moi parce que je suis tout seul dans un bar et que ça fait bizarre. Je lui ai lancé sur un ton moitié condescendant et moitié bienveillant, si toute fois cela existe : « Tu veux que je te dise ce qui me pousse à boire, que je sois seul ou pas ? Pour moi, boire fait l’effet d’une thérapie ! »
Je sentais que je venais de titiller sa curiosité et je m’apprêtais à commencer une longue tirade sur ma relation avec l’alcool. Ma thérapie !
Pour les moments où tout va mal!
Le contexte socio ? Politico ?…, enfin bref, le contexte burundais s’est fait une joie de me descendre de mon petit nuage. J’étais trop content de lui rappeler que tout n’est pas bien rose dans notre beau pays. Et ça, c’est déjà une raison pour s’en envoyer une ! Cependant, Je ne voulais pas non plus lui dépeindre le portrait d’une personne qui serait dépressive et limite défaitiste. Mais dans le fond, sans vouloir pousser le bouchon trop loin, la seule façon pour moi de relativiser ce quotidien qui testait mes limites, je lui ai admis que je buvais pour appréhender, avec un corps imbibé d’alcool, la tristesse de cette réalité. J’ai poursuivi en lui décrivant que l’amertume faisait souvent place à la curiosité. Vous connaissez tous ce moment où, après la nième bouteille, les langues se délient et l’on se trouve en présence de philosophes de comptoirs ? J’aime cette perte d’inhibitions, passer le temps à boire et regarder ces hommes qui paradent avec des théories rocambolesques sur le pourquoi du comment du Burundi.
Dans ce genre de situation, il est tellement facile de se réfugier dans les affres de cette ivresse accueillante. Aux travers de ces voix qui portent et qui cherchent à avoir raison pour marquer leurs virilités, je me sens à ma place. Je lui ai aussi décrit la sensation de liberté que l’on ressent en vagabondant entre ces idées reçues, ou pas. Il s’agissait sur le moment, de trouver une échappatoire à la réalité de mon monde qui partait en vrille. J’aime à penser que ce moment est devenu mon « nothing box ». De l’alcool contre une tête vide. (Humm… vraiment ?)
Face à son regard, quelque peu perplexe je dirais, je me suis senti le devoir d’y amener une touche rassurante pour en finir avec la première raison pour laquelle boire m’aide : « Tout compte fait, quand on écoute et voit ce qui se passe dans le monde, ici, je peux me permettre de dire qu’il y a plus grave. Demain est un autre jour ! Et puis voilà ! »
Pour les moments où ça va…
La serveuse était bouche bée ! Je sentais que la description de ma thérapie prenait une tournure dramatique ! Il me fallait une pirouette pour égayer la conversation. C’est ainsi qu’à la quête d’une touche rigolote, je lui ai fait part de l’autre aspect qui me pousse à boire: la télé réalité !
C’est ainsi que je lui ai raconté que dans mes meilleurs jours, aller siffler un coup au bar me donne la possibilité d’observer les autres et d’en avoir pour mon compte, ou mon argent. Ça dépend de celui qui voit. Mon argumentaire tenait sur le fait que si ce n’est pas pour parler de pseudo géopolitique ou d’économie, les hommes n’ont rien à envier aux femmes que l’on accuse, à tort ou à raison, de jacasser comme des pies. Mon Dieu que ça « gossipe » ! Je venais d’arracher à la gente demoiselle un sourire franc qui m’a conforté sur mon choix. J’ai vidé alors mon sac : « Quand je regarde ces hommes qui parlent de ces choses ô combien futiles, j’ai vraiment l’impression de regarder une de ces télé-réalités… un comptoir pour des hommes ». Sacrément sexiste !
Elle pouffait de rire. Et j’ai tenu à lui faire comprendre que dans ce genre de circonstances, je ne pouvais que me sentir mieux parce que ma vie dans le fond n’était pas si mal, que je suis tout ce qu’il y a de plus normal. Je bois donc je suis et je me marre !
Face à ma vérité…
Il devait être 22 heures, il ne pleuvait plus. J’avais fini mon interminable tirade sur ma consommation d’alcool. La serveuse avait tourné les talons en se tordant de rire. J’avais perdu le compte des verres que j’avais bus. Oh oui, la facture a été très salée. Mais en repensant à toutes les bêtises que je venais de déblatérer sur le chemin de retour en titubant comme pas permis, je ne pouvais m’ôter cette idée de la tête que je n’y croyais pas moi-même. En vérité, Je me suis trouvé très condescendant. Hautain. Dans le déni. Peut-être que je bois trop ?… Que je me trouve des excuses pour me voiler la face ? Suis-je un alcolo ? Je devrais sûrement me faire aider.