Le Burundi connaît ces dernières années de persistantes pénuries du carburant. Pour en venir à bout, le gouvernement vient de créer une société qui s’occupera de la gestion du carburant. Sera-t-elle à la hauteur ? Analyse.
La société pétrolière du Burundi (SOPEBU) matérialisée par un décret du 20 février 2024 a un capital social de 120 milliards de Fbu libéré par l’Etat et les sociétés publiques. Son directeur général et les membres du conseil d’administration viennent d’être nommés.
Cette société, qui est sous la tutelle du ministère en charge de l’énergie, a à sa charge 14 missions. Elle est chargée de l’importation, de la distribution, de la commercialisation et de la réexportation des produits pétroliers, gaziers et leurs dérivés. Elle est chargée également d’organiser, coordonner et centraliser les commandes du pays en produits pétroliers.
Une société qui fait face à la pénurie des devises
La société pétrolière du Burundi vient répondre à la pénurie récurrente du carburant selon le gouvernement. Néanmoins, cette dernière doit faire face à la situation économique du pays, marquée par le manque des devises. Cette société, va-t-elle échapper à cette problématique ? L’allure ascendante que prennent les devises ne va pas arranger les choses. Actuellement, le dollar a dépassé la barre de 5000 Fbu sur le marché noir.
Certes, ces dernières années, le Burundi s’est heurté aux perturbations de l’approvisionnement liées au contexte international causé par la Covid-19 et le conflit entre la Russie et l’Ukraine, mais le tarissement de devises pèse encore sur le pays. Malgré la baisse du prix des produits pétroliers sur le marché international, le pays connaît encore des perturbations dans l’approvisionnement. Le cas illustratif, c’est la pénurie actuelle du mazout dans les stations-services. C’est un secret de polichinelle. Cette situation est due au manque des devises.
Une mauvaise expérience des sociétés publiques
Par ailleurs, l’histoire de notre pays montre que peu de sociétés publiques ou à participation publique réussissent. Les défis liés à la mauvaise gestion de telles sociétés se dessinent. Cette société va-t-elle réussir là où d’autres sociétés étatiques ont échoué ? Les sociétés comme Sosumo, la seule société sucrière du Burundi, n’arrive pas à satisfaire la demande. La Regideso, société de distribution de l’eau et de l’électricité n’arrive pas non plus à satisfaire la demande. Doit-on rappeler l’Onatel, office national des télécommunications, qui est au bord du gouffre ? La liste des sociétés mal gérées n’est pas exhaustive.
Les vices dans le domaine de l’importation sont une réalité. Selon le chef de l’Etat Evariste Ndayishimiye, de 2019 à 2021, 48 millions de dollars ont été octroyés aux importateurs de divers produits, mais ces derniers n’ont rien ramené. Espérons que cette société ne va pas connaître des problèmes liés à la mauvaise gestion.
Encore un monopole en vue ?
En analysant ses missions, des questionnements sont à relever sur cette société pétrolière surtout en ce qui concerne son rôle de régulation et de commercialisation. C’est d’ailleurs l’une des inquiétudes de l’ONG burundaise Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (PARCEM), qui évoque une confusion des missions pouvant causer « un risque de ne pas aboutir aux résultats concrets ».
La PARCEM craint un monopole d’une société publique avec « des missions élargies qui ne différencient pas la régulation, une mission classique du gouvernement, et la gestion du secteur d’importation qui est une mission classique du secteur privé ».
Cette organisation émet également des doutes sur « la mentalité actuelle de la nomination des cadres aux postes de responsabilité comme une occasion de pourvoir de nouvelles nominations des postes politiques afin de rémunérer les gens qui ont beaucoup milités ». Selon Faustin Ndikumana, ceci va altérer la capacité de cette société. Pour lui, il faudrait plutôt de l’expertise. La meilleure solution serait de créer une société qui se limiterait sur des missions de supervision et de régulation, d’intéresser les acteurs privés de s’engager dans ce secteur, afin d’avoir une sorte de concurrence. « Avec un capital de 120 milliards du trésor public engagé, il y aura une double perte, si la société n’arrive pas à créer une valeur ajoutée. », estime-t-il.
Pour la réussite de la société, il n’y a pas de solution miracle. Il faudra s’attaquer au problème de la pénurie des devises. Le gouvernement devrait miser sur des mesures visant à accroître les exportations. En 2022, la valeur des exportations représentait 208 millions d’USD contre 1,260 milliards d’USD des importations. Il faudrait aussi asseoir la bonne gouvernance, la bonne gestion des finances publiques et ainsi relever le faible taux de décaissement des fonds pour les projets financés par les bailleurs.