L’offre de la Sosumo, la seule société sucrière au Burundi, est inférieure à la demande. Bien qu’ayant le monopole dans l’importation, cette dernière n’arrive pas à satisfaire le marché local. Actuellement, la problématique de la distribution du sucre fait tomber les têtes des administratifs communaux. Pourquoi ne pas libéraliser l’importation du sucre ?
Trois administrateurs dont celui de Mukaza ont été suspendus de leurs fonctions ce 28 août 2023 par le ministère de l’Intérieur. Selon le ministère de l’Intérieur, l’administrateur de Mukaza en mairie de Bujumbura, Rénovât Sindayihebura « s’est caractérisé par le manque de suivi de la commercialisation des produits de premières nécessités à la population de sa circonscription ».
C’est donc l’affaire des 15 tonnes de sucre qui se sont volatilisées dans la nature qui lui coûte son poste. Lors d’une séance des questions orales avec les sénateurs, Martin Niteretse, ministre de l’Intérieur a tenu à s’expliquer sur les questions claires, courtes, précises du « Très honorable » président du Sénat burundais.
Monsieur le Ministre où sont passées les 15 tonnes de sucre [sur 45 tonnes] destinés à la commune de Mukaza ? Etes-vous dans le coup ? Pourquoi l’administrateur est toujours dans ses fonctions alors qu’il serait impliqué dans le coup ? Vous est-il difficile de le suspendre ou vous le protégez ?, etc. Et au ministre de répondre : « C’est vrai, le sucre a été détourné. Selon les dires, il ne serait même pas arrivé à Bujumbura. Le dossier est aux mains de la justice. Les enquêtes judiciaires sont en cours. Nous attendons donc l’issue. Cela pour la question du respect de la séparation des pouvoirs. D’ici peu, nous aurons les résultats ».
Les résultats sont là. L’administrateur a été suspendu de ses fonctions.
La distribution du sucre suscite des interrogations
Le circuit de commercialisation du sucre suscite des interrogations. Actuellement, l’administration locale s’implique dans la distribution et la commercialisation du sucre. Les listes des distributeurs du sucre proviennent de l’administration communale. Pour la mairie de Bujumbura, le sucre est acheminé directement dans les communes qui font la distribution dans leurs zones avec des listes précises des commerçants. Quand l’administration locale se charge de la distribution des produits commercialisables, il y a quelque chose qui cloche. Par exemple, en juillet, la mairie de Bujumbura a reçu 130 tonnes de sucre, mais dans les boutiques, il est introuvable.
Un produit introuvable sur le marché
Malgré la récente hausse de son prix, le sucre se fait de plus en plus rare. Trouver ce produit stratégique dans les boutiques de la mairie de Bujumbura relève d’un parcours du combattant. Dans la plupart des cas, l’usage est de passer par une connaissance.
Sur une dizaine de boutiques et alimentations des quartiers Gihosha urbain et Gihosha rural où nous sommes passés ce 28 août, aucune n’en disposait. « Je ne me souviens pas la dernière fois où mes enfants ont bu du thé avec du sucre », lâche A. N, mère de deux enfants et propriétaire d’une boutique. « Mon mari nous amenait quelques fois un kilo, mais actuellement il ne le fait pas. Avec la récente hausse, un kilo s’achète clandestinement à plus de 6 mille Fbu alors que le prix officiel est de 3300 FBu », dit-elle avant de poser une question. « Qui peut tenir à ces prix ? ». Pour calmer ses enfants, cette mère recourt aux jus localement produit et dont la qualité questionne. Elle s’inquiète pour la santé de ses enfants.
M. M, mère de 4 enfants, affirme quant à elle qu’elle passe par ses connaissances pour avoir du sucre. « C’est mon ami travaillant à la zone qui m’a donné les deux kilos que j’ai actuellement ». Selon lui, si le sucre est disponible dans une boutique, il se vide en l’espace d’une heure alors que les gens forment des files indiennes. Et souvent avec l’obligation d’acheter un autre produit en parallèle.
Des grossistes boycottent les prix ?
Après la hausse du prix du sucre, la situation va de mal en pis. Certains grossistes refusent actuellement de s’approvisionner au niveau de la Sosumo arguant que les prix récemment annoncés par le ministère du Commerce jouent en leur défaveur.
Dans une réunion entre les ministres de l’Intérieur et celui en charge du commerce avec les gouverneurs des provinces le 07 août 2023, le gouverneur de Kayanza Remy Cishahayo a signifié qu’aucun grossiste n’amène du sucre dans sa province depuis la fixation des nouveaux prix du sucre. Ils travailleraient à perte.
Chez les grossistes, un sac de 50 kg de sucre est passé de 111 500 Fbu à 159 500 Fbu, tandis que chez les détaillants, il est passé de 115 000 Fbu à 162 000 Fbu. Un bénéfice de 2500 Fbu pour un sac est jugé trop faible par les grossistes.
Fidès Bigirimana, directrice commerciale à la Sosumo, a révélé qu’aucun grossiste ne vient s’approvisionner alors que des tonnes de sucre sont dans les stocks de cette société.
Un problème connu depuis longtemps
La problématique de la faible production du sucre est connue par les autorités du pays. La quantité actuellement produite ne satisfait pas la demande. Si la pénurie du sucre fait parler d’elle encore aujourd’hui, elle a commencé à se manifester depuis 2016. Alors que la Sosumo a quadruplé sa production de 1988 à 2020 (4 658 tonnes à 20 434 tonnes), cette dernière n’a pas suivi le rythme de la démographie galopante. Aux premières productions de la Sosumo, la population burundaise était estimée à 5 millions. Elle est actuellement estimée à plus de 12 millions.
Cette société se rabattait toujours sur les importations pour combler le déficit. En 2020, 52 % du sucre consommé était importé. Sur 43 219 tonnes consommées, 22 785,1 tonnes étaient importées.
Pourquoi ne pas libéraliser l’importation du sucre ?
Il faut rappeler que l’ambition de moderniser la Sosumo ne date pas d’hier. En 2021, le gouvernement avait promis 132 milliards de Fbu pour voler au secours de cette société, notamment avec des actions de réhabilitation, modernisation et extension. Il comptait se rabattre sur les financements extérieurs.
Avant la mise œuvre de la modernisation de cette société qui a le monopole de l’importation du sucre sur le sol burundais, certains proposait la libéralisation de son importation. En 2022, dans les colonnes de Burundi Eco, Noël Nkurunziza, secrétaire et porte-parole de l’Abuco, proposait d’autoriser les autres commerçants l’importation du sucre comme réponse à court terme aux besoins urgents.
« Avec la libéralisation de la commercialisation du sucre, la Sosumo risquerait d’être inondée. Le gouvernement a le devoir de protéger sa société », a expliqué Aloys Ndayikengurukiye, administrateur directeur général de la Sosumo.
Autre chose, Marie Chantal Nijimbere, ministre en charge du commerce, tentera d’expliquer que le sucre ne peut pas être importé au même titre que d’autres produits stratégiques (carburant, médicaments) pour la seule raison d’éviter la sortie massive des devises. Les devises que le pays a tant d’ailleurs besoin et qui font défaut à son économie.
nagahomerabunwa ivyaha iwacu