Il y a deux semaines, l’histoire d’une femme qui a failli sectionner le sexe de son mari avec ses dents a défrayé la chronique sur les réseaux sociaux. Comme quoi, les violences basées sur le genre ne concernent pas que les femmes et les filles. Mais, que s’est-il réellement passé à Mabanda ? Comment le couple en est-il arrivé à de telles extrémités ? Nous sommes allés enquêter.
C’est avec une publication du Magazine Jimbere que le monde de la toile a découvert cette horreur. Une femme a mordu le sexe de son mari qui dormait. Les réseaux sociaux s’en sont délectés, comme à leur habitude. Tout cela serait arrivé parce que le mari voyait d’autres femmes et ne satisfaisait pas son épouse au lit. C’était tellement incroyable cette histoire qu’un curieux est descendu à Mabanda pour en avoir le cœur net. Et le moins que l’on puisse dire est que la version du premier concerné est différente de celle qui a circulé sur la toile.
Un début de mission difficile
Mabanda, cette bourgade fourmillant d’activités attire l’attention des voyageurs. Le commerce est florissant et la proximité avec la Tanzanie y est pour beaucoup. Les gens sont pressés. Mais comme dans le reste du pays, l’électricité joue au tango toute la journée. Elle va et elle vient. Même que parfois, il y a des jours avec et des jours sans. Nous débarquons au centre de négoce l’avant-midi. Nous essayons de joindre notre contact sans succès. 5, 10, 15 tentatives infructueuses. La réponse est la même : “Le numéro de votre correspondant est éteint”. Dans ce Burundi où la suspicion règne en maître, c’est dangereux de demander un renseignement à n’importe qui. C’est encore risqué d’annoncer qu’on est journaliste et qu’on vient enquêter sur une affaire louche. Nous prenons donc notre mal en patience.
Plusieurs heures passent, toujours aucune nouvelle de notre contact. Nous nous résolvons à aller nous rafraîchir le gosier et nous remplir la panse pour penser tranquillement à la suite de la mission. Nous prenons nos quartiers dans un bar près du marché de Mabanda. Une énorme cuisse de vache pendue sur une corde attire notre attention. ‘’Veterineri’’ arrive au galop et nous passons la commande. En revanche, pas de produits Brarudi à la ronde. Heureusement, les bières de fabrication tanzanienne coulent à flots. Balimi, Safari, Serengeti, etc. On n’a que l’embarras du choix. Nous essayons une Safari. Le goût est correct, même si elle est douce par rapport à l’incontournable Beshu. Un gars nous salue et échange quelques amabilités avec nous. On en profite pour glaner quelques infos. « B.T ? Son téléphone est éteint, il est parti à Kigoma, il revient le soir », indique notre interlocuteur. Au moins, on est fixé, même si notre première journée de travail est un bon fiasco. C’est vers 21h que nous rencontrons finalement notre contact.
La pêche aux infos
Mardi, 9h. Nous débarquons au quartier Gikombe ou vivaient sieur Hilaire Nibitanga et sa compagne Emelyne Baranyanka. Leur maison est fermée depuis le drame qui a failli coûter la vie à Hilaire. Nous avons la chance de rencontrer un muremeshakiyago (animateur communautaire) du coin. Nous allons l’appeler B.N. Celui-ci nous conduit vers une tante d’Hilaire qui vit à quelques dizaines de mètres plus loin. La dame nous accueille gentiment dans son salon. Quand nous déclinons le motif de notre visite, elle fait quelques mimiques de résignation avec les bras. « Twese twaratangajwe n’ivyabaye ». Elle enchaîne : « Nous sommes accourus quand nous avons entendu crier Hilaire. Nous l’avons trouvé couché sur le dos devant la porte de la chambre à coucher. Il y avait trop de sang. B.N. est ensuite arrivé ». Le concerné opine et prend la parole : « J’ai vite fait d’envelopper son sexe dans un tissu. On l’a ensuite évacué vers le Centre de santé. Je suis rapidement revenu à leur domicile, car on venait de m’informer qu’Emelyne essayait de s’enfuir. C’est moi-même qui l’ai conduite au poste de police. Elle a même essayé de me soudoyer durant le trajet, j’ai refusé ». Celui qui passe le gros de son temps à résoudre les problèmes des couples précise également que les troubles dans les foyers sont légion à Mabanda.
Le grand rendez-vous
Après ces entretiens, nous remuons ciel et terre pour retrouver Hilaire, la victime de cette terrible tragédie. On nous avait informés que sa santé n’était plus en danger. En fait, il a été transféré à Rusenyi après les premiers secours au Centre de Santé. Les infos obtenues plus tôt qui le prétendaient hospitalisé à Kibuye (Gitega) n’étaient donc pas exactes. Mon contact fait un bon boulot, puisque nous obtenons quand même un rendez-vous avec la sœur d’Hilaire. Nous apprenons qu’Hilaire est sorti de l’hôpital et est déjà rentré chez son père pour convalescence. Nous convenons de nous rencontrer à Rusenyi, quand il reviendra pour changer les pansements.
Quelle surprise quand Hilaire nous appelle lui-même pour nous dire qu’on se voit 2h avant le rendez-vous fixé ! Plus tard, il nous expliquera qu’il a eu un lift de la part d’un ami motard. Nous nous installons dans un endroit discret. Chemise blanche avec des poires noires, pantalon jean large, sandales, Hilaire porte aussi un pagne rouge qu’il tient par-devant pour protéger son bas-ventre. Il avance lentement puis s’assoit avec difficultés. Teint noir, taille moyenne, cheveux coupés court, on devine la douleur sur son visage. Mais il reste digne et parle calmement.
« J’ai 25 ans. Je vivais avec Emelyne depuis un an et demi. On n’avait pas encore d’enfant. Elle a fait une fausse-couche il y a quelque temps », déclare Hilaire d’entrée de jeu. Chauffeur de son état, il avait passé la journée à Mugina le jour du drame. Nous posons la question qui nous brûle les lèvres : “Qu’est-ce qui s’est passé ?”
« Je suis entré dans un bar. Emelyne s’y trouvait en compagnie d’un certain W.W. Je lui ai simplement posé la question : uno musi ntiturya ko utatetse ? (on ne va pas manger aujourd’hui puisque tu n’as pas fait la cuisine ?). Elle n’a pas répondu sur le moment, mais elle est entrée dans une colère noire, peut-être parce qu’elle avait trop bu. Je suis rentré à la maison où elle m’a rejoint en courant. Elle m’a trouvé au salon et c’est là que la bagarre a commencé. Elle m’a poussé violemment sur le mûr et m’a frappé avec un objet à la tempe. Je suis tombé dans les pommes. C’est une forte douleur au bas-ventre qui m’a réveillée. J’ai crié et je l’ai poussée violemment avec toutes les forces qui me restaient. A ce moment, j’ai remarqué une mare de sang autour de moi. Les voisins sont accourus et m’ont évacué ». Hilaire ajoute qu’ils avaient des problèmes comme les autres couples, mais qu’il n’avait jamais imaginé que sa compagne pouvait agir de la sorte.
Rupture consommée
Les voisins ont pourtant témoigné que le couple avait de sérieux antécédents de violences physiques. Il y a quelques mois, Emelyne aurait lancé une marmite pleine de haricots chauds au visage d’Hilaire. Elle aurait également essayé de le poignarder l’année passée, a affirmé une autre voisine. Au moment de notre descente, Emelyne croupissait dans les geôles de la police de Mabanda où son dossier était en train d’être confectionné. L’OPJ chargé de cette affaire est même allé recueillir la déposition de sieur Hilaire à son chevet à l’hôpital de Rusenyi.
Nous risquons tout de même cette question: « Aucune chance de se remettre ensemble même si la justice la relâche ? ». Réponse d’Hilaire: « Oya ntitwoba tukibana yohava anyica, yarampakije » (Impossible de se remettre ensemble, elle pourrait me tuer. Je l’ai échappé belle).
« Qu’est-ce qui explique la recrudescence des VBGs à Mabanda ? »
Nous sommes allés poser la question à Béatrice Ndayishimiye, responsable de l’Association des femmes actrices de paix et de dialogue et point focal du Cafob à Makamba. Cette dernière cite la consommation de boissons fortement alcoolisées et la pauvreté. Un brin philosophique, madame Béatrice résume sa pensée par un proverbe plus ou moins connu en Kirundi : « Abasangiye ubusa ntibabura ivyo bapfa ».
Pour elle, il n’y a pas trente-six solutions pour éradiquer ce mal. « Il faut que les femmes mettent leurs efforts en commun et travaillent ensemble ». Selon elle, il est évident que quand une femme exerce une activité génératrice de revenus, il y a moins de violences au foyer.
En attendant, Hilaire se remet petit à petit de son traumatisme. Il déplore toutefois qu’aucun bienfaiteur ne soit venu l’aider. Il est convaincu qui si c’était une femme qui avait été victime d’une telle bavure, les associations œuvrant dans le domaine des VBGs seraient venues à son secours.
PS : d’après les informations recueillies auprès de sœur d’Hilaire, Emelyne se serait déjà évadée. Dans quelles circonstances ? Elle n’en savait pas plus.
