Certaines Burundaises violées tombent enceinte et mettent au monde des bébés non désirés. Quel peut être le destin de ces enfants nés du viol ? Le désir de connaître leur père, le silence et l’indignation de leurs mères et le regard de la société, etc., voilà de quoi est faite leur vie. Comme quoi, le viol a un certain impact sur la descendance. Cléas Niyondiko*, un de ces enfants, témoigne.
J’ai 19 ans j’habite à Gitega, au quartier Rango. Ma mère a été violée à l’âge de 16 ans par un ami de longue date de son père, qui est mon grand-père. Ne l’ayant pas toléré quand il a su que ma mère était enceinte, mon grand-père a traduit son ami, qui est mon père, en justice. Et grâce aux accusations de ma mère, mon père a écopé de 25 ans de prison.
Mais, revenons en arrière. Toute cette histoire, je l’ai su à 12 ans. Voyant d’autres enfants avec leurs pères, je n’arrêtais pas de poser des questions. « Qui est mon père ? ». Malheureusement, ma mère ne pipait mot concernant mon père. Souvent, ses larmes servaient de réponse. Et si elle ouvrait la bouche, c’était pour me gronder : « Har’icowamburanye? » (As-tu manqué de quelque chose ? Ndlr)
Choc de la vérité
Etant donné que ma mère ne voulait rien me dire, j’ai cherché ailleurs. C’est un ami de mon grand-père qui m’a appris la vérité. Un grand choc. Aveuglé par les larmes, tout s’entremêlait en moi : la sidération, la honte, la tristesse, la colère, la culpabilité. Mais c’était aussi un soulagement pour moi. C’est là que j’ai commencé à comprendre le comportement de ma mère envers moi. En fait, je lui rappelais constamment le drame qu’elle a vécu. Et souvent, elle projetait sur moi sa colère. « Cela ne m’étonne, tu es comme ton père », me disait-elle quand je commettais des fautes.
Ceux qui connaissent l’école primaire officielle de Gitega savent qu’il est tout proche de la prison centrale. Un jour, j’ai quitté l’école sans permission pour aller voir mon père, histoire de découvrir son visage. Que je le veuille ou pas, il était mon père. Dès que ma mère l’a su, elle l’a pris comme une trahison. Elle voulait que je ressente la même haine. Ce jour-là, elle m’a frappé si violemment que j’en garde une cicatrice.
Stigmatisation
Entre abandon et négligence, j’ai souffert psychologiquement. Accepter ma condition a été une lutte, un combat intérieur. J’ai pris conscience que ma mère voyait en moi une partie de l’agresseur. À cause d’un complexe que j’ai développé, la solitude est devenue mon refuge. Je ne voulais pas jouer avec les autres. Et si ça arrivait, je manifestais des comportements agressifs. Et le pire, avec ses réflexions désobligeantes, la société me cataloguait et m’identifiait à mon père et donc à son crime. « Lui aussi va violer les filles comme son père l’a fait », murmuraient certains quand ils m’apercevaient. C’était comme un coup de poignard dans le dos, du moment que je n’avais rien fait pour mériter tout ça.
Je me suis donc considéré comme la pire erreur qui soit dans le monde. Difficile de s’identifier à un parent qui souffre, et qui ne t’accepte pas. Difficile de s’identifier à un père violeur et absent. Difficile même de s’identifier à une société hostile qui te rejette. Aujourd’hui, nariyakiriye. (J’ai pris sur moi, Ndlr)
N.B : * : nom d’emprunt