La riziculture est très répandue dans la plaine de l’Imbo. Gihanga s’est fait un nom aussi bien dans la production que dans la vente du riz. Mais quand vient la période des récoltes et que l’argent coule à flot, un phénomène social remet en question l’harmonie et la cohésion des ménages. Les maris commencent à découcher et finissent souvent dans le concubinage. Cette pratique courante est à l’origine de la dislocation des ménages.
Dans ces champs qui s’étendent à perte de vue, des mères de famille avec leurs bébés sur le dos passent leur temps à travailler la terre pour produire le riz que certains appellent l’« or blanc ». Ces vastes champs verdoyant cachent une réalité qui menace la vie des femmes dans les ménages. Elles triment quand il s’agit de labourer ou de sarcler les champs, mais quand vient le moment des récoltes, l’homme les écartent et s’octroie unilatéralement le pouvoir de gestion de la production. ‘’Gutera intemere aho utateye isuka’’ (récolter ce qu’on n’a pas semé), voilà un proverbe rundi qui résume bien ce que certains hommes de Gihanga font à leurs femmes.
Tout ça à cause du ‘’2ème bureau’’
Un vendredi bien ensoleillé, nous sommes à Gihanga précisément au village III. La particularité de Gihanga ne nous échappe pas : les femmes et filles qui roulent à bicyclettes sont nombreuses. « Ici on ne demande pas la main d’une femme tant qu’on a pas au moins deux bicyclettesà la maison. Cela fait même partie de la dot », lance un jeune homme tenancier d’une boutique ou je venais d’acheter du crédit pour mon téléphone. Avec toute cette chaleur, poursuit-il, les filles se marient jeune, non pas par volonté, mais à cause des garçons impatients de cette localité ou des hommes mariés qui en font leur ‘’ 2ème bureau’’. Cette triste réalité, je n’ai pas tardé à la découvrir. Marianne, une jeune femme de 28 ans est assise devant les bureaux de la commune Gihanga. Sa seule doléance : demander à l’administration de trancher sur le litige qui l’oppose à son mari. Mai quelle est la relation avec ce qui vient d’être dit ?
L’argent du riz, pomme de discorde
« Moi et mon mari avons mis ensemble l’argent issu de la récolte l’année dernière. A ma grande surprise, j’ai appris qu’il a tout dépensé, je ne sais pas comment. Et cela fait des lurettes qu’il ne rentre presque plus à la maison », raconte Marianne d’une voix désespérée. Le cas de cette jeune femme résume celui des milliers de femmes de cette localité qui ne profitent pas du fruit de leur sueur. Marianne cultivait le riz depuis plus de cinq ans avec son mari. Ils faisaient bon ménage, jusqu’à ce que la situation change. « J’ai commencé à soupçonner qu’il va peut-être ailleurs quand il me demandait chaque fois de l’argent alors que je ne voyais pas pourquoi il en avait besoin. Quand j’essayais de lui poser des questions, il devenait colérique et je me taisais », confie-t-elle. C’est plus tard qu’elle apprendra que son mari a une fille avec qui il entretient une relation, et qu’il lui paie tout ce qu’elle désire. L’affaire est actuellement pendante en justice.
Le riz et la fuite
Le riz de Gihanga pousse aussi les femmes à quitter le navire conjugal pour fuir la misère et la maltraitance que leur imposent leurs maris pour pouvoir dépenser seuls l’argent provenant de la récolte. Au village II, Christine, mère de deux enfants a rejoint le toit de ses parents il y a presque une année. Et pour cause, une dispute sur la gestion de l’argent du ménage. « Mon mari rentrait souvent tardivement. Il était occupé avec d’autres femmes. Il ne donnait plus la ration quotidienne. Il n’achetait plus d’habits. Et un jour il a failli me lyncher quand je lui ai dit que je connaissais la vérité ». Craignant pour sa vie, la trentenaire a regagné le bercail avec ses enfants. Depuis qu’elle est partie, poursuit-elle, son soi-disant mari n’a plus revu les enfants, ni assurer aucune charge pour eux. « J’essaie tant bien que mal à travailler pour que mes enfants ne manquent de rien. Leur père est une vieille histoire », renchérit-elle, pensive.
Finalement, cette verdure à perte de vue n’est rien d’autre que la face d’une médaille dont le revers ne reflète que la misère des milliers de femmes qui l’entretiennent.