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Les présidentielles du 1er juin 1993 : de la victoire à la panique

Le mois de juin est celui des dates importantes pour l’histoire du Burundi. Elles sont commémorées en grandes pompes, sauf une qui semble tomber dans l’oubli : le 1er juin 1993, le jour des premières élections pluralistes depuis l’institution  du monopartisme par l’arrêté-loi du 23 novembre 1966 qui fait de l’Uprona  parti unique. Ce jour-là, les Burundais se rendaient aux urnes pour élire leur président. Retour sur une date porteuse d’espoir, mais aussi révélatrice de malaise identitaire dont souffrait le Burundi.

 Le 11 juin 1995 est le triste jour des massacres des étudiants de l’UB. Le 8 juin 2020, c’est celui du décès de feu président Nkurunziza. Quant au 18 juin 2020, elle marque l’accession du président Ndayishimiye au pouvoir. Juin n’est donc pas un mois anonyme dans l’histoire du Burundi. Néanmoins, une date importante semble être tombée dans les oubliettes : le 1er juin 1993, le jour des élections qui ont porté le président Ndadaye au pouvoir. Lors de ce scrutin, trois candidats étaient en lice : Major Pierre Buyoya, président sortant se présentant sous la bannière de l’Uprona, Melchior Ndadaye du Frodebu et candidat de la coalition des Forces pour le changement, et Pierre Claver Sendegeya du PRP, un parti qui prônait le retour à la monarchie. Ayant clôturé leurs campagnes le 29 mai, les trois candidats venaient de passer deux semaines à sillonner le pays en promettant monts et merveilles aux électeurs.

Une campagne électorale mouvementée

Au cours de ses meetings, le Major Buyoya a fait de la paix et de l’unité nationale son cheval de bataille. Se portant garant de la stabilité du pays, il demandait à la population de lui confier ce mandat afin de bien parachever son œuvre d’unir les Burundais. De bonne guerre, il reprochait à son challenger du Frodebu de s’être opposé à la politique de l’unité nationale.

« L’unité nationale ne doit pas être un slogan, elle doit être matérialisée par des actes concrets », lui rétorquait Melchior Ndadaye. Dans ses rassemblements, il accusait l’Uprona d’être responsable des problèmes qu’a connus le Burundi depuis la période post-indépendance. « Si le président Buyoya a accepté de se présenter sous le chapeau de l’Uprona, il n’a d’autre choix que d’en assumer le bilan depuis notre indépendance », haranguait-il les foules venues l’écouter. Faisant office d’outsider, Pierre Claver Sendegeya s’attaquait à la jeunesse de ses concurrents. Pour lui, le Burundi ne devrait pas être dirigé par des jeunes. Buyoya avait 44 ans, Ndadaye 40 ans tandis que lui en avait 54.

Une victoire sans bavures

Caractérisées par une grande participation, les élections du 1er juin se sont tenues dans le calme et la sérénité : 97,58 % des électeurs enrôlés ont voté ce jour-là. Les premiers résultats sont tombés vers 23h. Après confirmation de la Cour constitutionnelle, le candidat du Frodebu était largement en tête avec 64,75 % pour Ndadaye, 32,39 % pour Buyoya et 1,44 % pour Sendegeya.

De nombreux upronistes étaient dans le désarroi. Ils étaient tellement convaincus de la victoire de leur candidat qu’ils étaient sonnés. Vers 3h, Terence Sinunguruza, président de la Commission électorale nationale (CEN), dut annoncer la débâcle aux ténors de Kumugumya. « Il ne fut pas surpris, ce qui confirma que les mandataires de l’Uprona avaient envoyé au fur et à mesure les résultats à leur direction de campagne », a-t-il écrit dans son livre « Tout savoir et tirer des leçons de juin 1992 ».

Des tentatives d’intimidation

Avant l’annonce des résultats provisoires, feu Terence Sinunguruza a subi des menaces et des mises en garde de la part des deux camps. Les vainqueurs redoutaient le trucage des résultats tandis que les vaincus essayaient de voir comment inverser la tendance. Un incident confirme cette deuxième tendance. Alors qu’il venait de signifier la victoire irréversible de Ndadaye, Sinunguruza a reçu un coup de fil du chef de cabinet du président Buyoya lui intimant l’ordre de se présenter en toute discrétion à la présidence de la République pour une entrevue avec lui. « Ne venez ni avec votre chauffeur, ni avec votre garde », lui a-t-il ordonné. Aussitôt dit, aussitôt fait. À son arrivée à l’entrée, il a trouvé toutes les lumières éteintes. Il a décliné son identité aux sentinelles de garde et leur a indiqué les motifs de sa visite impromptue. À sa surprise, la sentinelle lui a répondu innocemment que le Président et son chef de cabinet n’étaient pas sur les lieux. « Et tout d’un coup, quatre soldats sont venus en courant en ordonnant à leur collègue de me laisser entrer ». Trouvant louche cette situation, le président de la CEN a décidé de rebrousser chemin. Venait-il d’échapper à une tentative d’assassinat ? Possible. Une seule certitude : aucune allusion du rendez-vous manqué par le chef de cabinet lorsqu’il s’est présenté une heure plus tard à Kumugumya pour rencontrer le Président. Autre incident.

Un espoir éphémère

On le voit donc, ces élections présidentielles sont historiques et symboliques en ce sens qu’elles ont lieu après presque quarante ans de parti unique et du règne des hommes en uniforme issus de coups d’état. Cet exercice démocratique n’était donc pas moins significatif. Ces élections étaient aussi porteuses d’espoir dans un Burundi au passé trouble. Mais cet espoir a vite été douché, car l’homme élu à la tête du pays n’a eu que 3 mois pour s’atteler à la tâche. La réconciliation promise ne verra finalement pas le jour. Le Burundi retombera de nouveau dans le chaos.

 

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Les commentaires récents (2)

    1. Il a raison celui-là qui a fait ce commentaire sur le fait que on ne parle pas d’élections présidentielles, en tout cas pour le cas dont il était question dans le billet de notre ami Igor. Je voudrais y apporter de lumière pour que vous compreniez quand l’on peut parler d’élections présidentielles ( au pluriel) d’une part et d’élection présidentielle ( au singulier) d’autre part. On dit « Élection présidentielle» ( ou une présidentielle) car il s’agit d’une scrutin qui se fait sur une seule circonscription. En effet, avec un scrutin consistant a élire le président de la République, la circonscription est nationale. Par contre, avec les législatives, les circonscriptions sont nombreuses, indépendantes les unes des autres. Quand est-ce que on peut parler « des présidentielles» ( au pluriel) ? En réalité, c’est lorsqu’il s’agit d’au moins deux élections présidentielles, prises ensemble. Un exemple, les présidentielles de 1993, de 2005, de 2010, 2015, etc. Cependant, si on met la focale sur un seul scrutin consistant a donner un chef de l’État a un pays, dans ce cas, c’est une présidentielle en raison de l’existence d’une seule circonscription ( qui est nationale) comme expliqué plus haut.