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‘’Nyakurisation’’, le ‘’divide et impera’’ à la sauce burundaise

Des dissensions à l’interne des partis politique, on vient d’en parler dans nos récents articles, avec un regard sur historique. Mais que dire de la nyakurisation, ce concept dont il convient de rappeler les contours ?  Des heurts, des crocs-en-jambes, des couacs, des rapprochements, des divergences…, voilà parfois de quoi est faite la vie politique. Diviser pour régner, est-ce une pratique qui paie en politique ? Quelles peuvent en être les conséquences à court et long terme sur un régime qui se veut démocratique ? Quelques éléments de réponse.

En politique, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts (parfois des ennemis à abattre), dit-on. Est-ce pour cela que certains comparent la politique à un marigot où il faut savoir esquiver des coups tout en continuant à nager, quitte à arriver à bon port ? D’autres pensent que l’art de la politique est un poker-menteur exempté d’éthique où tous les coups sont permis, pourvu qu’on atteigne ses objectifs. S’il est vrai que pratiquer l’art de gouverner exige certaines habiletés, souvent, on glisse vers la manipulation, et parfois, c’est l’arbitraire au bout du chemin. C’est peut-être comme ça que la tristement célèbre ‘’Nyakurisation’’ nous est née. 

La ‘’nyakurisation’’ expliquée aux nuls

La ‘’Nyakurisation’’, cette pratique d’atomisation des partis politique pour affaiblir les adversaires politiques, est connue au Burundi. On nourrit d’abord les dissensions aux seins de formations politiques, on attise les conflits internes et on favorise la naissance des factions en interne. L’aile dissidente s’en va fonder une autre formation politique avec les mêmes signes distinctifs et parfois avec le même nom. C’est ce qui est arrivé au parti FRODEBU. Du jour au lendemain, nous avons découvert FRODEBU Sahwanya et FRODEBU Nyakuri iragi rya Ndadaye. C’est ‘’Nyakuri’’qui, par néologisme, a donné naissance au mot ‘’nyakurisation’’ pour désigner ce phénomène. Il signifie « le vrai », en référence à l’autre pris pour « le faux ». Plus tard, on aura FNL Iragirya Rémy Gahutu. Le cas le plus compliqué est celui de l’UPRONA avec ses nombreuses ailes : aile Mukasi, aile Nditije, aile Concilie, aile Sindimwo…, j’en oublie certainement quelques-unes.  

Bref, ‘’nyakuriser’’ signifie diviser, partitionner, réduire en morceaux pour affaiblir, afin de pouvoir dominer. Cela s’apparente au phénomène de diviser pour régner, le divide et impera que les Allemands et d’autres colonisateurs ont appliqué pour dominer les autochtones. 

Des causes internes ?

Le raccourci veut que ce soit le parti aux affaires qui affaiblisse ses concurrents pour les dominer. Il y en a même qui se trompent et pensent que ce phénomène est l’invention du CNDD-FDD. Mais les choses ne sont pas si simples. Denis Banshimiyubusa, politologue et enseignant d’Université, fait une longue mise au point dans un entretien qu’il a récemment accordé à Yaga : « Il faut être prudent avec ce qu’on appelle ‘’Nyakurisation’’. On l’a souvent imputée au parti CNDD-FDD. Peut-être que c’est avec lui qu’elle a été très visible. Pourtant, si Sagwe PADR de feu Augustin Nzojibwami a été une dissidence du FRODEBU, le CNDD-FDD n’était pas encore au pouvoir. L’émiettement a toujours été un moyen d’affaiblir les partis politiques afin de les battre aux élections. Il se dit que le Parti UPRONA et Pierre Buyoya ont divisé le parti FRODEBU dans le but de l’affaiblir. C’est facile d’imputer les problèmes internes du CNL au parti CNDD-FDD. Mais en réalité, est-il vraiment à l’origine de ces problèmes ? Les problèmes surgissent d’abord entre les leaders du parti, ensuite, c’est l’aile faible qui va chercher l’appui du parti au pouvoir. Ce dernier est pointé du doigt, on dit le CNDD-FDD est en train de diviser les partis politiques alors qu’en réalité, le nœud du problème est interne »

Selon toujours ce chercheur, la question qu’il faut se poser est celle de savoir quelle est la personnalité des leaders des partis politiques ? Eux-mêmes, sont-ils vraiment des démocrates ? Parfois, les leaders prennent leurs partis politiques comme leur propriété privée (gutwarira umugambwe mu mufuko). 

Des conséquences de la ‘’Nyakurisation’’ ?

« Cela signifie qu’il n’y aura pas de dialogue, car c’est un homme qui s’est illustré par des pratiques visant à diviser et à casser les partis d’opposition et la société civile », disait un politicien en 2010 dans les colonnes du journal Iwacu, accusant le ministre de l’Intérieur de l’époque de ‘’nyakuriser’’ sans états d’âme. Si donc maintenant, on parle de verrouillage de l’espace politique, la ‘’Nyakarisation’’ n’y serait pas étranger. Petit à petit, cet espace se rétrécit. La liberté d’agir des formations politiques de l’opposition, ainsi que certaines organisations de la société civile, régresse. Cela parce qu’avec leur émiettement, le pouvoir en place n’associe à la gestion de la chose publique que les factions ou les ailes qui sont acquises à sa cause. « Si tu n’as pas la culture démocratique, tu ne laisses pas les autres formations occuper l’espace politique. Tu ne les laisses pas critiquer ce que tu fais alors qu’en réalité, c’est leur manière de contribuer à la vie politique, de te faire un clin d’œil », a indiqué Denis Banshimiyubusa, cité plus haut. 

 

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Les commentaires récents (1)

  1. Pour le lecteur de Yaga, il serait utile de rappeler que le néologisme de la nyakurisation a été utilisé pour la première fois en octobre 2014 dans une chronique publiée par le journal Iwacu et signée par Athanase Karayenga qui est le géniteur de ce vocable politique typiquement burundais et hilarant ! AK.