Les simulacres de procès, certains fabriqués de toutes pièces, d’autres, on ne peut plus expéditifs,… tels sont les procès que les Burundais appellent communément « iza ngondagonde ». Cela ne date pas d’hier au pays de Cambarantama. L’histoire du pays est jonchée des affaires retentissantes qui ont marqué au fer rouge la justice burundaise. Dans cette chronique, nous ressuscitons l’affaire Ntunguburanye et consorts qui plongea tout le pays et la communauté internationale dans l’émoi, à cause de ses iniquités.
En juillet 1971, alors que le traumatisme de l’assassinat des officiers hutus de l’armée (dont Charles Karorero, Nicodème Katariho, Mathias Bazayuwundi) et d’autres cadres de l’Etat de la même ethnie, accusés de comploter contre le régime de Micombero, ne s’était pas encore totalement estompé, une autre affaire de complot éclata. La justice appréhenda une brochette de cadres de l’Etat, dont Jérôme Ntungumburanye, un ancien chef d’Etat-major adjoint qui avait aussi occupé les fonctions ministérielles. Il était accusé (avec d’autres personnes) d’avoir fomenté un coup d’Etat contre le président Michel Micombero.
Rapidement, il apparut qu’en fait, Micombero et ses acolytes voulaient se débarrasser des cadres originaires de la province Muramvya. La première iniquité, mais loin d’être la seule, est le fait que les accusés étaient presque tous originaires de la province de Muramvya. Appelés « Banyaruguru », en opposition aux « Hima », ces cadres tutsi présentaient prétendument un danger pour l’oligarchie au pouvoir qui venait majoritairement de Bururi. Certains pensent que c’est là qu’il faut situer l’origine du régionalisme et du clanisme qui ont émaillé les régimes de Micombero et de Bagaza. Mais toujours est-il que cette affaire suscita beaucoup l’appréhension dans l’opinion publique.
Le procès de tous les ridicules
La conduite du procès fut confiée à un certain Léonard Nduwayo, un jeune procureur de 26 ans à l’époque. Il s’illustra par l’indépendance et l’imperméabilité par rapport aux injonctions de ses supérieurs. A la surprise générale, lors de son réquisitoire, il déchargea entièrement et complétement les accusés et requit de lourdes peines à l’encontre de « faux témoins » à charge qu’il accusa d’affabulations et de calomnies envers les accusés.
Depuis ce réquisitoire, ce magistrat devint célèbre. Il devint l’exemple vivant d’intégrité et de probité jusqu’à sa mort, le 23 avril 2007. Dans son livre Burundi : de la révolution au régionalisme 1966-1976, Marc Manirakiza écrit que la popularité de Léonard après le procès était à un point que lorsqu’il est entré dans un night-club « La Cave », il a été ovationné, ce qui a valu à la boîte de nuit sa fermeture par le ministre de la Justice de l’époque, Albert Shibura. Le héros de cette mascarade de procès sera vite démit de ses fonctions mais retombera sur ses pattes parce qu’il sera embauché à la Brarudi et s’engagera dans l’encadrement du sport où il aidera plusieurs athlètes.
Une autre grosse iniquité suivit son réquisitoire : les juges du siège, au lieu de suivre le procureur dans son réquisitoire décidèrent l’aller à son encontre en condamnant les accusés à de lourdes peines allant de la peine capitale à la peine de servitude pénale de 5 ans, c’était le 24 janvier 1972. L’histoire retiendra que mêmes les témoins à charge et à décharge (dont Paul Rusiga, Adrien Ntiroranya) ont été condamnés à la servitude pénale à perpétuité et écroués.
L’autre bizarrerie dans le prononcé du jugement est le fait que le président du siège a omis la partie des Attendus, pour prononcer directement les peines infligées aux accusées. Pour les néophytes, la partie des Attendus (ils commencent toujours par une majuscule), constitue le socle de l’argumentation du juge et rappelle les griffes qui sont concrètement reprochées à l’accusé. Elle résume les actions que ce dernier a posées (ou pas) personnellement. Ils font références au (x) motif(s) de la décision du juge qui découle des moyens de défenses présentés par les parties au procès. Les omettre donc revient en quelque sorte à refuser de démontrer pourquoi le juge prend telle ou telle autre décision, ce qui s’apparente à l’arbitraire.
Du jamais vu dans l’histoire de la justice burundaise
Marc Manirakiza, auteur prolifique sur l’histoire du Burundi, faisait partie des accusés. Il était condamné à la peine capitale. Alors qu’un de ses frères, Didace Nzohabonayo était venu assister au procès dans lequel son frère était impliqué (il n’était donc pas poursuivi). Paradoxalement, il a quand même été condamné à la servitude pénale à perpétuité et écroué. Me Etienne Ntiyankundiye, avocat de la partie défenderesse, lui, avait été arrêté en plein procès bien avant, alors qu’il ne faisait que son métier. Il avait pris 20 ans de prison. Il ne sortira de prison qu’en 1973.
Rapidement, après le procès, le ministre de la Justice de l’époque, Albert Shibura enjoignit au procureur Nduwayo d’exécuter immédiatement le procès. Ce dernier, au lieu de s’exécuter, s’en pressa d’envoyer une lettre au Chef d’Etat-major Thomas Ndabaneze (un témoin-clé qui ne s’était jamais présenté au procès), de ne pas fournir un peloton d’exécution avant le dernier mot du président de la république qui pouvait gracier les condamnés, écrit Marc Manirakiza dans l’ouvragé cité plus haut. Finalement, ils seront effectivement graciés, leurs peines ayant auparavant été commuées. On apprend que la peine infligée à Paul Rusiga, le témoin récalcitrant qui avait pris la perpète pour avoir refusé de charger les accusés, a été réduite à 12 jours ! Une preuve supplémentaire que toute cette procédure n’était qu’une parodie de justice concoctée dans le but de se débarrasser des cadres ‘’indésirables’’ ? Aux historiens de répondre.