Il y a quelques temps, j’ai assisté avec horreur au meurtre d’un humain par un autre humain, sous l’assistance et/ou la protection d’un autre humain. Le reste du monde s’est indigné, les ires sont montées, des tweets ont plu, des spéculations ont trouvés leur place et des « héros » sont tombés. Et comme la nature a horreur du vide, on veut en proposer d’autres héros, ceux-là probablement plus irréprochables. Bref, on essaie de réécrire l’histoire.
La semaine dernière, pendant un appel d’un de mes proches amis qui vit au Canada (ce dernier se demandait s’il retrouvera les siens chez mère patrie avec le nouveau président), nous avons évoqué les réactions suscités par le sinistre assassinat de Georges Floyd, en particulier celle de destruction des statues des illustres esclavagistes. Pour lui, une telle réaction est compréhensible, justifiable et louable. Elle est une justice des temps modernes sur les monstres que furent ces hommes.
Entre deux assertions, il se rappela à voix haute, son séjour de quelques semaines au pays de l’oncle Sam, le dégoût qu’il a ressenti au tournant de cette avenue au centre duquel était érigée une statue d’un ancien esclavagiste (il se retint de mentionner son nom), lorsqu’il l’observait. Cette effigie était la représentation flagrante du cynisme éhonté du bourreau qu’a été le colon. Il représentait un passé qui crachait à la gueule des autochtones leur rappelant le sacrifice obligé de leurs aïeuls.
Donc décapiter Christophe Colomb ou rebaptiser la Colombie ne serait qu’une façon honorable de rendre justice aux victimes des soleils des grandes découvertes et de rayer ces monstres de l’histoire de l’humanité.
Des héros de plus en plus contestés
Dans mes heures de profonde solitude, entre deux bâillements, je scrollai sur WhatsApp les statuts de mes digitaux contacts. Je tombai sur un statut de Gandhi avec une affirmation (à vérifier) selon laquelle, en plus d’être un raciste qui soutenait l’infériorité de la race noire, c’était un pédophile (refoulé peut-être). Ma récente discussion sur le bien-fondé des destructions des statues encore fraîche, à un autre ami qui se cherche une place dans la France de Colbert, je posai la question si on devra aussi effacer et/ou modifier les traces de Gandhi dans l’histoire. Vingt-quatre heures plus tard, nous nous sommes convenus de laisser tranquille son statut de héros de la nation collé par les vainqueurs de l’histoire de son époque.
Nous nous sommes entendus aussi qu’en tant que détenteurs d’une certaine vérité, nos descendants auront le privilège de connaître les meilleurs des pires de ceux que l’histoire aurait qualifié d’illustres hommes. Il sera à eux de tirer leurs propres conclusions et de se choisir des exemples à suivre.
Pour ma part, je reconnais que les époques changent, mais aussi que la critique est chose facile. Quand nos différences mettent en évidence nos tares sociétales, essayer de réécrire (ou ajuster) le passé parce que certains de leurs maîtres font tache à notre temps est un mauvais calcul. Ces héros ne sont que le reflet d’une époque rétrograde et en marche d’être révolue (je l’espère). Une époque qui les a adulés, c’est vrai mais que notre temps se doit d’affronter, supporter et apprendre tout en rendant hommage à ses victimes par la réhabilitation de leur mémoire dans le panthéon de notre histoire.
Chez nous au Burundi, fait intéressant (ou désolant), nous nous cherchons toujours quant à notre passé et ses héros, dans une histoire qui ne fait pas du tout l’unanimité. Quand ailleurs, on en n’apprend pas, chez nous, on se demande si ce ne serait pas mieux de taire, oublier et faire peau neuve que risquer de savoir et réveiller ces démons qui hantent nos aînés et leurs pères.
Le temps est éternel, c’est une réalité factuelle et c’est comme ça (on n’y peut rien). Il juge, donne raison ou tort, confirme ou infirme nos actes. Quand nos descendants mettront nos actes sur la balance de leur justice, je suis sûr que peu de nos héros deviendront des légendes, d’autres (ceux-là nombreux) seront réduits à des zéros tandis que d’autres, ceux que notre présent aura ignoré sciemment ou pas, se verront érigés des statues en Christ pantocrator comme des audacieux que nos mentalités limitées ont sacrifiés. Nous devons essayer d’apprendre du passé au lieu d’essayer de l’effacer.
Cher monsieur, l’équivalence que vous établissez entre destruction de statues et effacement d’histoires ne tient pas. Maints articles ont été rédigés contre ce propos qui se trouve profondément mal avisé. Rappelons que c’est là un argument préféré des suprématistes blancs de l’extrême droite européenne et américaine. Quant au racisme de Ghandi, je trouve que les étudiants de l’Université du Ghana ont très bien agi en réclamant son déplacement du campus universitaire. https://www.theguardian.com/world/2018/dec/14/racist-gandhi-statue-removed-from-university-of-ghana