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Mort de George Floyd : des hommages sincères ?

Lorsque nous nous insurgeons contre le racisme aux États-Unis, lorsque nous rendons hommage à Georges Floyd, faisons-le avec courage comme Angela Merkel ou Justin Trudeau qui ont enchaîné en disant : « Ce mal que nous dénonçons aux Etats-Unis, ronge également notre société. »
Une réflexion de Daly Ngarambe.

25 mai, une vidéo fait le tour des réseaux sociaux. Elle met en scène une altercation dans laquelle un homme noir (Christian Cooper) demande à une femme blanche (Amy Cooper) de mettre son chien en laisse comme cela est exigé dans cette partie du célèbre « Central Park » de New York. En retour, Amy Cooper préfère le menacer d’appeler la police et de leur dire qu’un « homme noir, la menace »… et elle le fait ! Un exemple typique du « white privilege » (privilège de blanc) qui émeut internet. 

Dans la foulée du tollé enclenché sur les réseaux sociaux, Amy Cooper se verra mise en congé par son employeur, puis renvoyée, son chien sera confisqué, sa réputation ternie.

Le même jour, une autre vidéo est mise en ligne et suscite des émotions encore plus vives. Et pour cause, un homme y est mis à mort par la police. Il s’agit d’un autre noir, Georges Floyd. Arrêté par la police, menotté dans le dos, il est plaqué au sol par un policier blanc, Derek Chauvin. Sur les vidéos des badauds qui filment, on entend Georges Floyd supplier à plusieurs reprises « I can’t breathe, please, I can’t breath » (j’étouffe, je vous en supplie, j’étouffe). 

Les témoins maintenus à distance par les policiers, tentent de leur faire arrêter ce supplice. Ils attirent leur attention sur les supplications répétées de Georges Flyod, insistent, s’impatientent, supplient, en vain ! Même lorsque le captif perd connaissance et cesse de bouger, l’air indifférent, Derek Chauvin maintient son genou sur la nuque de Georges, il le maintient pendant 8 longues minutes en tout, ses mains sur les hanches. Même après qu’une ambulance est arrivée, que le pouls de Georges a été pris, Derek Chauvin, imperturbable, maintient son genou sur le corps inerte de Georges pendant une minute de plus avant que les brancardiers ne l’embarquent. Le cœur de Georges arrêtera de battre avant d’arriver à l’hôpital.

La version officielle de la police est vite contredite par des témoins et par plusieurs vidéos qui couvrent des angles et des moments différents de l’ensemble de l’opération. L’indignation se répand à travers les réseaux sociaux, la colère envahit les rues de Minneapolis et s’étend dans plusieurs autres villes des États-Unis. 

Une poussée soudaine d’altruisme

Très vite, l’affaire devient planétaire. Des messages de solidarité se multiplient sur le web, des positions très sévères sont exprimées par des personnes publiques, des célébrités américaines ou pas, noires ou pas. Fait exceptionnelle en diplomatie, l’Union européenne, s’est dite « choquée » et a même qualifié d’ « abus de pouvoir » la situation dans le pays allié que sont les États-Unis. Pour la première fois de son histoire, International Crisis Group, va jusqu’à publier un document sur les États-Unis. 

Mais si le monde s’émeut de ce drame raciste aux États-Unis, pour autant, cet élan de sympathie n’en est pas forcément altruiste. La sympathie exprimée permet assez facilement de se considérer différent, de se dire à soi-même ou à d’autres de s’estimer heureux de ne pas vivre aux États-Unis. Être témoin de cette horreur répétée dans cette Amérique arrogante et donneuse de leçons, même avec une sympathie sincère nous permet de ne pas nous regarder dans le miroir ou au moins de le faire avec un regard indulgent.

De même, un État, une institution, une organisation qui « ose » aujourd’hui s’insurger contre le racisme de la société américaine pourra désormais se vanter de ne pas critiquer que les pays du tiers-monde ou d’Asie.

Bien pire, la cristallisation de nos meilleurs sentiments autour de ces événements douloureux nous évite de poser les vraies questions, d’aller en profondeur. Il est commode de commenter sans analyser : à la limite, comparer, mais seulement pour dire que ce n’est pas pareil. Ces interpellations musclées avec mort d’homme sont une culture singulière aux USA. C’est arrangeant d’en rester là. 

Oui mais Amy Cooper n’a tué personne ! Et Derek Chauvin n’a pas fait qu’interpeller d’une manière brutale. Il n’a pas fait qu’ôter la vie d’un homme… il l’a fait les mains sur les hanches ! Presque détendu ! Parce qu’il se savait jouir d’un cadre où ce qu’il fait subir à Georges correspond à une certaine norme des choses. Et que cela puisse coûter la vie à un homme, il n’a pas à trop y penser : Georges n’a rien à réclamer du tout, il doit s’en tenir à subir et à se taire. Là est sa place !

Lorsqu’Amy Cooper menace Christian Cooper, elle emprunte exactement le même cadre qui lui autorise de se sentir offensée que cet homme ose lui exiger de se soumettre à la règle commune. Ses menaces visent à rappeler à Christian ses limites. Et que cela puisse coûter la vie à un homme, elle non plus n’a pas à trop y penser : Christian n’a rien à réclamer du tout, il doit s’en tenir à subir et à se taire. Là est sa place !

La normalisation de l’inégale dignité

Le drame dans tout cela est qu’il n’y a absolument rien de personnel. Il ne s’agit pas d’un rapport d’individu à individu. Derek Chauvin ne connaissait pas Georges Floyd, il n’avait aucune raison de lui en vouloir à lui plus qu’à un autre. Pas plus qu’Amy Cooper à Christian qui était un parfait inconnu pour elle. Le cadre commun que l’un et l’autre ont exploité, transcende les individus et est fondamentalement une construction structurante de la société. 

Cette « norme » intégrée à la structure sociale n’est pas une exclusivité américaine où elle peut prendre la forme d’un racisme violent qui arrache des vies. Elle peut aussi être de cette autre forme plus insidieuse qui réserve des privilèges à certains et l’indifférence à d’autres. Et « race » n’est rien de plus qu’un mot que l’on peut remplacer par ethnie, origine, tribu, caste, religion, pour aboutir au même résultat dès lors que l’on « normalise » la négation d’une égale dignité à l’autre uniquement pour sa différence, quelle qu’elle soit. Lorsqu’on normalise que certaines personnes n’aient rien à réclamer, qu’elles doivent s’en tenir à subir et à se taire, lorsqu’on normalise qu’il y ait des places pour les uns et d’autres pour les « indignes ».

Alors lorsque nous nous insurgeons contre le racisme aux Etats-Unis, lorsque nous rendons hommage à Georges Floyd, faisons-le avec courage comme Angela Merkel ou Justin Trudeau qui ont enchaîné en disant : « Ce mal que nous dénonçons aux États-Unis, ronge également notre société. »

Peut-être alors nous ouvrirons-nous à rejeter d’autres « normes » indignes des valeurs dont nous nous affublons. Peut-être nous ouvririons-nous à cesser d’être indifférents au sort des migrants qui périssent dans la Méditerranée, ou de morts qui accompagnent « inévitablement » les élections en Afrique, ou les victimes de la n-ième bombe qui explose au Moyen-Orient, ou celles de guerres absurdes au nom de quelques jeux de géopolitique.

 

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Les commentaires récents (1)

  1. C’est vrai que c’est triste d’avoir ôté la vie d’une personne seulement parce qu’il est ce qu’il est. Malheureusement dans la société burundaise, le racisme ( éthinisme) a une place aussi capitale que ce soit dans l’embauche, mariage,… Le racisme je le concidère actuellement comme un péché originel de l’humanité toute entière.