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10 ans après, je parle encore de Yaga

Si pour certains un anniversaire ne serait que question de chiffres ou de gâteau à couper, pour cet ancien blogueur vivant actuellement à des milliers de kilomètre de son pays natal, les 10 ans de Yaga signifient beaucoup pour lui, qu’il en parle comme sa plus grande fierté.

Il y a deux semaines, dans un entretien d’embauche, une recruteuse m’a demandé ma plus grande fierté professionnelle. Tout bêtement, sans hésiter, j’ai parlé de Yaga, un blog. Un blog ! Vous ne réalisez certainement pas le ridicule de ma réponse. Je vis à l’étranger, j’ai fait des études en ingénierie, j’ai des diplômes universitaires dans des champs techniques, j’ai des années d’expérience dans les jambes et je postulais un emploi de manager dans une grande boîte de la tech, et un blog tenu il y a des années reste ma plus grande fierté professionnelle. Un blog, dans les oreilles d’un recruteur de ce rang, c’est tellement collégien. Ça fait trop journal intime d’un ado. J’ai lu beaucoup de déception sur le visage de la recruteuse, mon Dieu. Mais qui était cette dame pour juger ma réponse ? Était-ce du mépris ? De l’incompréhension ? A-t-elle la moindre idée de ce que fut l’expérience Yaga ? Ça m’a irrité.

La case départ

Revenons aux sources, entre 2015 et 2017 ! Une époque qui semble lointaine mais qui est encore fraiche en moi. Pour beaucoup, 2015, ce sont des scènes de guérillas urbaines, des actualités nationales angoissantes, une crise politico-sécuritaire, les écoles et universités fermées… Vous vous rappelez, hein ? Et bah, moi, je vous assure que de cette époque, je ne garde que Yaga. Quand des jeunes battaient le pavé et bravaient les balles et les risques que nous connaissons, je plongeais ma plume dans l’encre et noyais toute ma colère et ma frustration dans l’écriture. J’étais téléporté dans un autre univers. J’entrais en transe. Sur le plan civique, je me sentais tellement militant, tellement utile en passant des messages que la violence rendait inaudibles. Et artistiquement, je me suis découvert disciple de Lafontaine, usant sans modération de la fable, de la satire et du fantastique. Ça m’a grandi.

Et quand la tempête se fut calmée, vint le temps de rencontrer les autres yaguistes. Autant je me pensais animé d’une grosse ferveur et un fort engagement citoyen, une grande gueule en français facile, autant d’autres l’étaient davantage, et nous n’étions d’accord à peu près sur rien. Yaga a été un véritable lieu de rencontre de l’autre dans toute sa splendeur, mais surtout dans sa différence. À Bujumbura, il n’y avait pas un seul autre lieu où des gens avec des opinions aussi différentes pouvaient discuter et débattre, comme Yaga le permettait. Tout d’un coup, on se rendait compte que l’enfer, ce n’était pas forcément les autres. Ça m’a rendu humble.

Le miroir du quotidien 

Et puis, être yaguiste, c’était conter notre société. C’était parler des jeunes innovants, des acteurs du changement, des anonymes opprimés, des défis de notre société, et parfois, quand on y arrive, rire de nos maux. Yaga a beaucoup évolué depuis. Ce n’est plus un simple blog collectif. Il porte des projets à foison. De mon lointain exil, je regarde les jeunes talents yaguistes comme un vieillard regarde ses petits-enfants, alors que quelques années à peine nous séparent. C’est vous dire combien un gap ahurissant en matière de créativité s’est créé depuis. Ça me vieillit.

Pour votre gouverne, je n’ai pas de nouvelles de la recruteuse d’il y a deux semaines. J’ai le cœur serré. Mais au moins, vous savez que 10 ans après, je parle toujours de Yaga comme l’une de mes plus grandes fiertés. Il y a eu beaucoup d’engagements, beaucoup de sacrifices de la part des premiers blogueurs, mais surtout beaucoup de joie. Nous avons goûté aux fruits et avons passé le témoin. Yaga est aujourd’hui dans de très bonnes mains. Je suis fier du travail accompli et de l’expérience humaine vécue, expérience qui ne sera peut-être jamais reconnue à sa juste valeur. Aujourd’hui, près de 10 ans après, je parle toujours de Yaga. Et ça m’a certainement coûté un travail.

 

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