« Kuri main d’œuvre », ce petit coin où se rassemblent les ouvriers journaliers à l’affût de tout travail manuel, il en existe dans plusieurs localités du pays. A Gihanga, c’est tout près de la rivière Ninga où convergent chaque matin hommes et femmes qui tentent de trouver un travail pour nourrir leurs familles. Comment ça marche ? Des obstacles se dressant sur la route de ces combattants de la vie ? Une blogueuse est allée à leur rencontre. Reportage.
Il est 6h 30 lorsque je sors de chez moi et me dirige vers le petit pont surplombant la rivière Ninga, au-delà duquel je suis sûre de retrouver une vingtaine, voire une trentaine de personnes, houes à la main. Il fait frisquet, alors je décide de mettre un long pull et une longue robe, qui me tiennent chaud et me donnent, en prime, l’air sage que je recherchais (que voulez-vous, il faut bien que je mette toutes les chances de mon côté pour m’attirer leur sympathie).
En marchant à pas lents, je prends le temps de réfléchir à la façon dont je vais les aborder. Quand j’arrive à leur hauteur, j’approche l’un d’entre eux et lui demande l’origine de la clameur qui les anime. Il me dit qu’ils sont juste en train de discuter entre eux. Lorsqu’un homme me demande : « Uratanga akazi ? » (Est-ce que tu donnes du travail ?), tous les autres me remarquent et dès que je commence à parler, ils s’attroupent tous autour de moi pour écouter ce que j’ai à dire.
Je leur pose des questions, ils me répondent, et voici ce que j’apprends.
Un jeu de chance
Tous les jours, à l’aube (aux environs de 5h 30), des personnes sans emploi fixe se rassemblent et attendent un éventuel donneur de travail. La plupart d’entre eux cherchent une affectation dans les champs, ou un petit job d’aide-maçon pour la journée. Ce dernier n’étant pas très disponible ces temps-ci, tous se rabattent sur les travaux champêtres, ce qui fait que même cette offre devient insuffisante pour satisfaire tout le monde. Une femme me dit : « Des fois, un employeur peut emmener une trentaine de personnes à la fois. Là, ce sont les jours fastes, et on peut espérer avoir de quoi se mettre sous la dent le soir. Le souci, c’est que cela n’arrive pas souvent ces derniers jours. Donc seuls quelques-uns trouvent quelque chose. Il m’est déjà arrivé de manquer de travail pendant toute une semaine. Mais ça ne m’empêche pas de me repointer ici chaque matin, je n’ai pas vraiment le choix, il faut que je nourrisse mes enfants. »
En effet, m’apprennent-ils, la pluie ne tombe pas de manière satisfaisante et pour eux, s’il y n’y a pas, il n’y a pas de travail non plus, car l’activité agricole est liée à la fréquence de la pluie. Vers 10h, s’ils n’ont pas encore trouvé de job, ils rentrent à la maison et reviennent le lendemain.
Je leur demande ensuite combien ils gagnent après une journée de travail. Quelqu’un répond : « Par jour, on peut rentrer avec 10.000 BIF, dépendamment du travail abattu. Mais on ne travaille jamais pour moins de 8.000 BIF, car les denrées alimentaires sont chères ».
Gare aux lascars
Quand j’évoque d’éventuelles difficultés rencontrées, tout le monde s’accorde sur une chose : les gens qui ne paient pas. Quelqu’un peut te proposer du travail, me raconte-t-on, et t’emmener dans ses champs. Tu vas travailler toute la journée, la plupart des fois sous un soleil de plomb, pour finalement ne pas toucher la paie convenue. « Imagine la déception ! Mais on n’y peut rien. On ne peut pas aller se plaindre. On n’en a pas les moyens et on ne veut pas d’embrouilles. Au pire, tu cherches la personne toi-même pour lui demander ton dû. »
Les femmes aussi se battent aux côtés des hommes
Dans ma conception, pour ce genre de travaux manuels, ce sont les hommes qui sont plus sollicités par rapport aux femmes. Les femmes que j’interroge me confortent dans mon idée, me disant que malheureusement, on ne les sollicite pas assez à leur goût, parce qu’on prend d’abord celui qui est fort physiquement, en l’occurrence l’homme.
Toutefois, lorsqu’une femme est embauchée, on ne va pas considérer son sexe dans la fixation du prix. « Vous négociez avec l’employeur et il te paie selon le travail accompli. Si tu es capable, étant une femme, d’abattre un travail égal à celui d’un homme, on te paiera pareil. »
Une leçon de vie
Je retourne sur mes pas, contente de mon échange. J’ai remarqué une chose que je crois utile de vous partager. Malgré les difficultés, le manque d’emploi et tous les autres tracas qu’ils traversent, ces personnes gardent le sourire. Oui, ils vivent au jour le jour. Oui, ils ne savent pas ce que leur réserve le lendemain, mais ils m’ont accueilli avec bienveillance, ont consenti avec plaisir à répondre à mes questions. Donc, un petit conseil gratuit : restez toujours positif. Les aléas de la vie ne vont pas disparaître, mais c’est à chacun de voir avec quelle perspective les affronter.