La justice sépare le bourreau de son crime. Si la loi burundaise punit sévèrement le viol, parfois les coupables ne purgent pas complétement les peines qui leur sont infligées, et cela, au dépens des victimes qui n’ont d’autres choix que de côtoyer leurs anciens agresseurs. Yvette, 14 ans à l’époque, a tenu bon et a confondu son agresseur. 5 ans plus tard, ce dernier a été relâché sans avoir purgé la totalité de la peine. Comment la famille vit-elle cette libération ? Immersion.
Bugendana, c’est la commune de la viande. Un plaisir de retrouver cette localité où des collègues avaient déjà travaillé récemment. C’est donc avec optimisme que je débarque à Gitega qu’on appelle pompeusement la capitale politique. Un coup de fil à Bugendana, et j’apprends qu’en fait ce n’est pas exactement à Bugendana que je dois me rendre, mais à Kirimbi où, il y a plus de 5 ans une élève de 14 ans a été abusée par l’ancien directeur de l’Ecofo Gwingiri. Pourquoi ressusciter cette affaire maintenant ? Eh bien, parce que le coupable a été relâché au bout de 5 ans d’incarcération alors que la Cour d’appel de Gitega avait prononcé une peine de servitude pénale de 15 ans et un paiement de 2 millions de Fbu de dommages et intérêts à l’encontre du fautif. Comment l’auteur de ce crime odieux s’est-il retrouvé en liberté avant d’avoir purgé la totalité de sa peine ? C’est le nœud de cette affaire.
Une plaie qui ne s’est jamais totalement cicatrisée
Revenons sur les faits. Il faut avoir le cœur bien accroché pour interroger une fille de 20 ans qui a été violée à 14 ans par son éducateur. Même ceux qui ont déjà vendu leur âme au diable savent respecter la douleur des gens. Yvette Irakoze a été violée par un certain Jean Claude Bacinoni, ancien directeur de l’Ecofo de Gwingiri. Elle s’en souvient comme si c’était hier. « Je me rendais aux toilettes quand le directeur m’a appelée et m’a amenée dans son bureau. Il a fermé le bureau à clé et s’est jeté sur moi. J’étais en 5ème primaire ». Actuellement âgée de 20 ans, Yvette a dû abandonner l’école à cause de la stigmatisation et des moqueries dont elle a été victime de la part de ses condisciples. Le directeur a essayé par tous les moyens d’échapper à la justice. « Il m’a donné 5 000 Fbu pour que je garde le silence. Une dame est entrée dans son bureau après qu’il ait fini de me violer. J’étais en train de pleurer quand elle est entrée. Lorsqu’ elle a voulu savoir pourquoi je pleurais, il lui a donné de la farine de manioc et des haricots de la cantine scolaire pour qu’elle ne parle pas ».
Elle n’a jamais croisé son bourreau après sa libération. Comment se comporterait-elle si elle le croisait ? « Yooooo, noca niruka ! » (Je prendrais mes jambes à mon cou, Ndlr).
Un père désemparé
Rénovât Gahunga est le papa d’Yvette. Il déplore la libération de l’agresseur de sa fille. Il ne l’a jamais croisé lui non plus, mais il sait qu’il habite près du chef-lieu de la commune Bugendana. Après la condamnation de la Cour d’appel de Gitega, il a entendu dire que M. Bacinoni a porté l’affaire à la Cour suprême pour solliciter la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel. Suite à quoi il a écrit une lettre au président de la Cour suprême le 24/11/2021 lui demandant de ne pas accorder de l’importance aux sollicitations de M. Bacinoni, mais de conforter la décision de la Cour d’appel. La suite n’est pas claire, car la famille s’est retrouvée devant un fait accompli. « Le comble de malheur est que l’agresseur n’a même pas payé les dommages et intérêts qu’il était censé verser à la famille de la victime », regrette le père d’Yvette. « Je ne comprends pas comment il a pu être libéré, les faits étaient accablants et avérés ».
Ici, il faut saluer la détermination d’un défenseur des droits de l’enfant et d’un notable collinaire qui ont tout fait pour que cette affaire ne soit pas étouffée. Le procureur de l’époque ainsi que l’OPJ qui a procédé aux enquêtes ont aussi fait un bon travail pour que l’agresseur n’échappe pas à la justice.
Quid du volet judiciaire ?
Le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Gitega a d’abord blanchi le prévenu dans sa décision RP 16820 du 30/11/2018, mais le tribunal de la Cour d’appel de Gitega en décidera autrement. Bacinoni a été condamné à une peine de 15 ans de prison et un paiement de DI de 2 millions de Fbu, comme nous l’avons constaté sur la copie du jugement RPA 2495 du 24/4/2019. C’est le procureur de l’époque, Alphonse Banderembako qui a interjeté appel. Il reprochait au TGI de Gitega d’avoir ignoré les témoignages accablants et d’autres pièces du dossier en blanchissant le prévenu. Nous lui avons demandé s’il peut expliquer comment M. Bacinoni a été libéré avant d’avoir purgé toute la peine. Il ne le sait pas puisque avant la fin du procès, il a quitté ses fonctions.
Nous avons posé la question à Godeberthe Hakizimana, l’avocate de la victime. Elle nous a dit qu’elle n’avait pas été informée de la libération de M. Bacinoni.
Le diable réside dans les détails
Nous avons contacté le président de la Cour d’appel de Gitega pour lui demander ce qu’il en est de cette affaire. Il nous a expliqués qu’en fait la Cour d’appel casse et renvoie l’affaire au tribunal qui a rendu la décision faisant l’objet de cassation. Puisque le demandeur a déjà saisi la Cour suprême, notre interlocuteur nous a demandé de nous adresser à cette dernière, puisqu’il ignore les détails de cette affaire. Nous avons consulté la requête d’introduction du recours en cassation qui a été reçue le 05/7/201. L’affaire a été enregistrée sous le numéro RPC 4127. Mais au moment où nous mettons en ligne, notre source à la Cour suprême ne nous avait pas encore dit ce qui se trouve dans ce dossier pour comprendre comment Jean Claude Bacinoni a été libéré au bout de 5 ans alors que sa peine était de 15 ans de servitude pénale.
Rappelons à toute fin utile que d’après la loi n° 1/13 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre que les peines liées aux VBG sont incompressibles et non graciables (article 61). Une libération anticipée dans ce genre d’infractions est donc tout simplement impossible, selon le droit positif burundais.
L’injustice de la justice bdaise