Il est fréquent le phénomène des jeunes filles qui regagnent les centres urbains en quête du travail, soit comme baby-sitter ou simple travailleuse de ménage. Ne sachant pas quel comportement adopter devant les avances de leur boss, elles deviennent des proies faciles et les conséquences sont parfois désastreuses. Ceci est un témoignage de l’une d’entre elles.
Il est 19 heures au petit centre urbain de Rutana. Le soleil a disparu depuis plus d’une heure. Seul l’éclairage des bistrots et des petites boutiques sert de lampadaires dans cette pénombre qui couvre la localité. Profitant de mon petit séjour, je sillonne nonchalamment le quartier, histoire de me dégourdir les jambes. Cap sur le bar Sparks, le plus branché de tout le chef-lieu. Fonctionnaires, militaires et autres intellectuels se retrouvent là pour causer autour d’un verre. Avec ce froid de canard, il faut bien se chauffer. Je prends place au comptoir pour m’en jeter une et contempler tranquillement ce beau monde « inconnu ».
Comme tout monde semble connaître tout le monde, je me concentre sur mon téléphone pour scroller l’actualité, vu que je venais de passer presqu’une journée entière sans connexion. Quelques minutes plus tard, une jeune fille se pointe à côté de moi, avec un gosse au dos. Elle tente de me saluer, mais sachant que personne ne me connait, je n’y fais pas attention. Elle finit par me tapoter au dos, et là je comprends qu’elle veut vraiment me parler.
Mineure et déjà mère
Après les salutations d’usage et quelques verres partagés, elle ne tarde pas à se dévoiler. Elle s’appelle Adnette K*. Elle vient à peine d’avoir 17 ans et est orpheline de mère, la seule qui lui restait. Sa vie a basculé une année auparavant à Gitega, le jour où son patron l’a mise enceinte, pendant que la patronne était absente pour trois jours. « J’étais nounou d’une petite fille de deux ans. Je venais de passer une année et trois mois dans cette famille ». Dans la fleur de l’âge, elle n’avait pas encore compris pourquoi son patron était toujours aux petits soins pour elle. « Il me demandait si je n’avais pas besoin d’argent pour m’acheter quelque chose. Naïve que j’étais, j’y voyais un bon cœur », affirme-t-elle. Plus le temps passait, plus les relations entre elle et son boss devenaient de plus en plus familières. Il finira par lui acheter un petit téléphone. C’est là qu’il a commencé à lui envoyer des messages qu’il lui demandait d’effacer après lecture. « C’était des messages pour me dire combien il voulait me rendre belle si j’acceptais tout ce qu’il me demandait. Mais je ne devais rien raconter à Mabuja (patronne) », ce que l’innocente finira par accepter.
Et le jour J arriva…
Sa patronne devait partir pour une mission de travail à Bujumbura. Trois jours d’absence. C’est Adnette qui devait prendre soin de l’enfant. Bien sûr, elle devait aussi aider le domestique dans d’autres travaux ménagers. « Ce soir-là, mon boss m’a demandé d’aller ranger sa chambre. Il était au salon, mais après deux minutes il m’a rejoint, et a commencé à me toucher les seins. Prise de panique, je cours vers le salon », se remémore-t-elle. Plus tard dans la nuit, les messages d’intimidation du patron déçu pour ne pas être arrivé à ses fins tombent. Il ira plus loin en lui annonçant qu’elle risquait de perdre son boulot. Le jour suivant, le patron passe la soirée à la maison. Il demande au domestique d’aller lui acheter une bière et une limonade (pour la nounou). « Il m’a demandé d’aller boire mon coca dans sa chambre. Sauf que je me suis réveillée le matin dans son lit, seule », raconte-t-elle avec une voix cassée.
La précarité et l’impunité
C’est après trois mois qu’elle commencera à se sentir bizarre. Elle devient maladive. La patronne l’amènera à l’hôpital où le médecin annoncera qu’elle est enceinte. Sans aucune autre forme de procès, Adnette sera vite chassée. « Ils m’ont juste donné le temps de prendre mes affaires et m’ont filée quelques sous pour le transport. J’ai regagné le bercail avec une grossesse ».
Il est déjà 21 heures. La pauvre petite maman n’a plus le temps de finir sa triste histoire. Moi aussi je dois me reposer pour une autre journée de travail. On s’est donc vite séparé. Un jeune qui m’avait vu avec elle me dira qu’elle mène une vie plus que précaire et me remerciera d’avoir écouté ses malheurs. Je suis parti, la gorge nouée d’émotion. Comment une fille si jeune peut-elle vivre un tel calvaire alors que son bourreau se la coule douce à, à peine une cinquantaine de kilomètres ? Elles sont combien les ‘’Adnette’’ victimes des turpitudes de leurs « boss » ?