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Ubushingantahe, la fin d’une tradition ? (Première partie)

Après l’installation des notables élus sur toutes les collines et tous les quartiers pour continuer les activités qui étaient traditionnellement dévolues aux Bashingantahe investis, l’opinion est en droit d’être éclairée, avec méticulosité, pour qu’elle puisse cerner les enjeux d’un processus conduit en douceur pendant presque deux décennies. 

« Les fonctions des notables investis cesseront sur tout le territoire du Burundi dès la prestation de serment des membres des conseils des notables des collines élus ». Cette décision du ministre de l’Intérieur est de nature hautement historique. Elle met officiellement fin au rôle consacré dans l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi d’Août 2000 (voir prot. II, chap. I, art.9, alinéa 8), qui était jusque-là dévolu aux Bashingantahe investis : l’arbitrage du tertre, appelé intahe yo ku mugina

Pour appréhender le processus du démantèlement et de marginalisation d’une institution multiséculaire, aussi vieille que le Burundi lui-même, car ayant été inaugurée par le premier roi, Ntare Rushatsi Cambarantama, fondateur du royaume du Burundi dont le nom a été donné au Palais présidentiel de Bujumbura, revenons d’abord sur cinq dates cruciales dans cet aboutissement. 

2010 : Des jalons de la mise au placard des Bashingantahe investis sont plantés, du moins sur le plan légal. La loi communale du 25 janvier 2010 en révision de celle du 20 avril 2005 les exclut purement et simplement des instances de justice sur les collines et des quartiers. Dans la première loi décrétée à l’époque du gouvernement de transition, il est stipulé à l’article 37, alinéa 2, que le conseil de colline ou de quartier, sous la supervision du chef de colline ou de quartier, a pour mission « d’assurer, sur la colline ou au sein du quartier, avec les Bashingantahe de l’entité, l’arbitrage, la médiation, la conciliation ainsi que le règlement des conflits de voisinage ». En revanche, le législateur a supprimé, dans la révision intervenue en 2010, le passage ci-haut en gras. L’article 36, en son point 2, souligne que le conseil de colline ou de quartier, sous la supervision du chef de colline ou de quartier, a pour mission « d’assurer, sur la colline ou au sein du quartier, l’arbitrage, la médiation, la conciliation ainsi que le règlement des conflits de voisinage ». De même, cette éviction des Bashingantahe du droit positif sera rééditée dans la loi communale du 28 novembre 2014 tout comme dans la loi organique du 19 février 2020. 

Néanmoins, la flamme de l’intahe ne s’éteint pas pour autant sur les collines et les quartiers du Burundi. En effet, les autorités n’ont pas anticipé le remplacement des Bashingantahe investis. En fin de compte, le gouvernement choisira de leur laisser cette charge dont ils n’ont pas prévu les continuateurs.

2018 : La Constitution de 2005 est révisée à la suite des consultations nationales sous la houlette de la Commission Nationale de Dialogue Interne (CNDI). La mention du travail de cette commission, mise en place le 23 octobre 2015 dans l’objectif de « conduire le dialogue dans la perspective de tirer au clair les causes des conflits répétitifs au Burundi en vue d’y mettre fin », permet de saisir à quel point l’élite politique du pays des mille et une collines ne porte pas dans son cœur l’Accord d’Arusha, qui accorde aux Bashingantahe la prérogative de siéger à l’échelon de la colline pour « rendre la justice dans un esprit de conciliation ». En effet, ses conclusions finales de mai 2017 passent pour légitimes plus que l’Accord d’Arusha. Contrairement à celui-ci, elles confortent les positions du CNDD-FDD. Le dialogue inter burundais sous l’égide de Mgr Nzosaba a été mené par et auprès des Burundais et surtout « sans influence », se félicitera Gélase Ndabirabe, porte-parole du parti de l’Aigle, à la suite du lancement des activités du CNDI en province Kirundo, en janvier 2015. Par ailleurs, la Constitution inspirée par les conclusions de la CNDI, dans le chapitre consacré aux conseils nationaux (art. 275) n’attribue pas, à l’instar de la loi fondamentale de 2005 dans son article 269, au Conseil national pour l’unité nationale et la réconciliation l’objectif de faire de l’institution d’Ubushingantahe, « un instrument de paix et de cohésion ».

2020 : Evariste Ndayishimiye, président nouvellement élu, est investi le 18 juin. Dans son discours au stade Ingoma de Gitega, devant la plupart de ceux que le Burundi compte parmi son gratin politique, militaire et un public de Burundais venus de toutes les provinces, le successeur de Pierre Nkurunziza déclare vouloir redonner de la vigueur à « l’intahe yo ku mugina ». Plus d’un, peut-être par manque de perspicacité car « l’héritier » de Pierre Nkurunziza a pesé ses mots et n’a nulle part mentionné le vocable « Abashingantahe », croient que le chef de l’Etat parle de leur réhabilitation, que son pouvoir  va accorder aux Bashingantahe investis une place considérable dans les juridictions collinaires, notamment en rétablissant l’obligation pour les justiciables de présenter d’abord une copie des conclusions rendues par les Bashingantahe au niveau collinaire en cas de recours auprès des tribunaux de résidence. 

2021 : Le président de la République promulgue le 23 janvier une loi mettant en place les notables collinaires, à la suite de sa promulgation par les deux chambres du parlement. Cette loi les nomme, « Abahuza bo ku Mutumba », c’est-à-dire des conciliateurs, le qualificatif décrivant fidèlement l’attribut des Bashingantahe. En effet, le credo qui guide les décisions d’un mushingantahe digne de ce nom consiste toujours à faire prévaloir la conciliation, à privilégier la justice restauratrice plutôt que la justice punitive, caractéristique des juridictions contemporaines. De ce fait, le cadre légal étant constitué, il est tout à fait normal que l’application s’ensuive. 

2022 : Les Burundais sont convoqués le 12 septembre pour élire les notables des collines et des quartiers. Dix jours plus tard, l’exécutif reçoit leur prestation de serment et de fait, c’est la fin d’une tradition aussi vieille que le Burundi lui-même, du moins en se basant sur les déclarations aux allures triomphantes du ministre Ninteretse, ordonnant la mise en chômage définitif des tenants de la justice coutumière. 

Dans la deuxième (et dernière) partie de cette série, retour sur les enjeux et les racines de ce désamour entre une institution multiséculaire et les différents pouvoirs, depuis la colonisation jusqu’aujourd’hui.

 

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Les commentaires récents (2)

  1. For sure, dear Lamberth, the institution of ubushingantahe will never disappear in Burundi or, so to speak, will never be replaced by any institution whatsoever, even if it is abahuza. Ubushingantahe actually represents the spirit in itself, wisdom, impartiality, fairness, righteousness, nobility, fairness, compensation, love of neighbor, humanism in I go.
    To enclose abashingantahe and abahuza in the same formula is a monumental error, it is to confuse two completely different things in essence. Probably, what baffles both is the fact of continuing to perceive abashingantahe in jurisdictional component,, yet there are even judges who are bashingantahe and others who are not necessarily and so, abahuza can never claim to replace abashingantahe.
    For example, when one addresses a respectful man, one calls him Mushingantahe out of respect for a man worthy of faith, even abahuza worthy of their names are called abashingantahe. Thus, we can say that abahuza is rather a function in its own right, while ubushingantahe is a transversal status, a quality that must be earned in all, everywhere and in all cases.