La deuxième édition du forum national de développement sur le Burundi s’est clôturée le 21 avril. Toutefois, la vision de cette dernière « Burundi, pays émergent en 2040 et pays développé en 2060 » porte en elle peu d’espoir quant à sa réalisation. Pour certains experts dans le domaine, c’est même un forum de trop. Analyse.
C’est à la veille de son lancement le 20 avril que les recommandations du premier forum tenu en novembre 2021 ont été rendues publiques. Plus d’une année et demie. Même l’évaluation qui avait été promise en 2022 n’a pas eu lieu. Néanmoins, cela n’a pas empêché que cette 2ème édition vienne avec une nouvelle vision. Ce, en plus de plusieurs autres visions déjà existantes, sans parler des plans de développement et autres stratégies…dont les résultats sont loin d’être satisfaisants : « Le développement d’un pays, quel qu’il soit, doit partir d’une vision politique de long terme, dont découleront les plans de développement et les budgets annuels. Depuis 1992, année de fin du IIIème Plan Quinquennal (1988-1992), le gouvernement du Burundi navigue à vue », indique André Nikwigize, économiste de formation.
Pour expliquer cela, cet ancien directeur de la Planification Economique et directeur général du Plan auprès du 1er ministre entre 1982 et 1991, il replonge dans le passé non lointain. Il rappelle qu’en août 2000, lorsque les acteurs politiques avaient conclu l’Accord d’Arusha, cet Accord était conçu comme une vision de reconstruction post-conflit, et pouvait servir pour relancer le processus de développement au moins pendant cinq ans.
Malheureusement, déplore-t-il, cette vision n’a pas été suivie : « Car, cet instrument politique important, de reconstruction post-conflit, a été mis au placard sans être remplacée par une nouvelle vision ».
Et en 2005, poursuit-il, le nouveau gouvernement s’est retrouvé à gérer les Documents de Stratégie (I et II), préparés par le FMI, préalable à l’obtention de la Facilité de Crédit pour la Réduction de la Pauvreté, généralement pour une période de court terme (3ans). « C’est généralement, un programme de stabilisation macroéconomique n’ayant pas d’objectif de développement à long terme », précise-t-il, notant qu’en 2011, le gouvernement, avec l’appui du PNUD, a publié la Vision Burundi 2025.
D’après lui, c’était un bon document, axé sur sept piliers, dont la Promotion de la Bonne Gouvernance et la Réduction de la Pauvreté étaient en bonne place. Un document qui, selon lui, fut préparé dans un contexte politique particulier.
« Le pouvoir CNDD-FDD se préparait aux élections de 2010 et était fortement critiqué côté bonne gouvernance, corruption, systèmes de recrutement partisans, attributions opaques des marchés publics, et très peu d’attention à la réduction de la pauvreté de la population », mentionne-t-il, notant qu’après les élections de 2010, la Vision a été adoptée mais très peu d’actions ont été entreprises pour la réaliser.
A l’approche des élections de 2020, M. Nikwigize indique qu’en 2017, le gouvernement a annoncé le Plan National de Développement 2018-2027, avec une priorité au développement rural. « Les budgets annuels qui se sont succédé n’ont jamais fait référence au Plan 2018-2027 », regrette-t-il.
Des plans sur d’autres plans…
Revenant sur la situation actuelle, il fait remarquer que depuis 2021, le gouvernement a organisé des Forums pour préparer le Plan National 2023-2040. « Et vous constatez qu’il se prépare aux élections de 2025. Et le Plan 2018-2027, où est-il passé ? Et la Vision Burundi 2025 ? Des plans, des visions sont adoptés, on ne se préoccupe pas de leur mise en œuvre », déplore-t-il. Ce qui fait penser, d’après lui, à un objectif de maintenir l’espoir auprès de la population burundaise et assurer la communauté internationale que le pouvoir en place se préoccupe de l’avenir de la population et qu’il est prêt à mettre en œuvre les préoccupations de la population et les recommandations émises lors des colloques et Forums.
Prenant la parole lors du 2ème forum national sur le développement du Burundi, Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale a déploré d’ailleurs le fait que les recommandations du 1er forum aient été présentées juste au 2ème forum. Il a insisté sur la notion d’évaluation. D’après lui, si les chiffres présentés par différents exposants étaient fondés sur l’évaluation des recommandations du 1er forum, ils seraient très convaincants. Il a plaidé pour une continuité des idées.
M. Ndabirabe a souligné que s’il y avait eu évaluation du 1er forum, ce sont les recommandations non mises en exécution qui devraient figurer sur l’agenda du 2ème forum et dire pourquoi elles n’ont pas été mises en application.
Pays émergent d’abord, quid ?
Citant la Vision 2020-2040, Gaspard Kobako, politicien estime que pour parler d’un Burundi émergent, cela signifie que le Burundi devrait avoir le niveau d’industrialisation rapide qui permettrait de réduire le fossé entre ces pays et les pays développés : « Je pense que ce que nous voyons, ce n’est pas un signe d’industrialisation. Parce que pour pouvoir industrialiser, il faut de l’énergie. Et jusqu’à maintenant, nous n’avons pas encore eu 300 MGW pour pouvoir prétendre à une certaine industrialisation. Même le peu d’industrie minière, des terres rares, a été arrêté. Parce que les autorités souhaiteraient qu’il y ait un accord gagnant-gagnant. Le secteur minier était finalement réservé aux exploitants qui en tiraient plus profit que le pays », explique-t-il.
L’autre caractéristique renvoie à de bonnes performances macro-économiques. Or, déplore M. Kobako, le constat est que même au niveau de la micro-économie, le Burundi n’avance pas. « Il reste à la traîne par rapport à tous les autres pays du monde entier », regrette-t-il, notant qu’il n’est même pas à l’abri des conflits.
Quid de la stabilité politique et institutionnelle ? « Oui, il y a une stabilité politique relative et vous voyez qu’au niveau des institutions, il y a remise en cause de certaines des autorités qui ont géré au haut niveau ce pays. Je pense qu’il n’y a pas de stabilité politique, il y a toujours des frictions politiques. Et aussi longtemps que la politique qui nous dirige n’est pas une politique de nature à satisfaire un certain programme politique pour qu’il y ait avancement de l’économie, il ne pourra jamais y avoir de stabilité politique ».
Il mentionne aussi que le climat des affaires n’est pas favorable aux investissements : « Vous constatez qu’il n’y a pas d’investisseurs qui affluent vers notre pays. »
Une autre caractéristique d’un pays émergent est un fort développement du secteur secondaire. Le secteur industriel. Or, explique M.Kobako, au Burundi, même les quelques rares industries existantes sont dénommées par le secteur primaire. « Ce qui renvoie à l’agriculture et l’élevage dont les résultats ne satisfont même pas le marché local. En témoigne la flambée des prix et ils ne tendent pas à diminuer », indique-t-il, précisant en outre qu’un pays émergent se caractérise aussi par le PIB par habitant relativement élevé.
Et de se résumer : « L’émergence est un processus par lequel la dynamique de croissance économique dans un pays engendre un bénéfice partagé pour l’ensemble de la société, de la population dans le cadre d’institution stable. Or, il n’y a pas de signes qui montrent que le Burundi est entré d’avancer. Et tout cas, les indicateurs d’aujourd’hui ne nous permettent pas de dire que le Burundi sera émergent d’ici demain. »
Que faire pour réussir ?
Ayant participé à la mise en œuvre du Ier Plan Quinquennal 1978-1982, et préparé les 2eme et 3eme Plans, André Nikwigize avance trois étapes essentielles pour avancer : « Il faut d’abord avoir une connaissance exacte du pays que l’on dirige ou que l’on veut diriger : situation politique, situation économique, situation sociale, situation environnementale ».
Et sur base de cette connaissance, propose-t-il, il faut préparer la vision : « De là où vous voulez conduire le pays, du point A au point B, ainsi que les échéances ».
Après cela, il est question, selon lui, de préparer les Plans quinquennaux ou triennaux, ainsi que les budgets annuels pour mettre en œuvre la Vision préparée.
D’après lui, rien ne manque pour préparer cette Vision et les Plans de mise en œuvre : « Les forums et colloques serviraient uniquement pour approfondir certains thématiques de la vision. Mais ici, on a l’impression que ce sont les forums et colloques qui dégageront la vision ».
Et à Gaspard Kobako de suggérer qu’il faut être systématique. Pour lui, ça ne sert à rien d’avoir beaucoup de stratégies, de plans, de vision. « Trop de Visions tuent la Vision », note-t-il. Car, justifie-t-il, nous versons dans une gestion théorique au lieu d’une gestion basée la pratique, les résultats, les moyens techniques et financiers pour la mise en œuvre de la vision. « Il faut un volontarisme exceptionnel. Il faut éradiquer la corruption, mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut et pas servir les militants », suggère-t-il.