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Sucre: pourquoi la facture est si salée ?

Les lamentations sur la pénurie et les spéculations concernant le prix de ce produit sont devenues une rengaine de tous les jours. Dans les échoppes, le prix officiel, 2500 BIF, peut aller du simple au triple. Quelles sont les variables qui entrent en jeu pour qu’on en arrive là ? Coup de projecteur

Comme pour la plupart de ses voisines, Nadine, une mère de trois enfants habitant Bwiza a opté pour les jus industriels pour le petit-déjeuner de ses fils. Ce n’est pas que ses petits garçons en raffolent particulièrement. Loin de là. « Le sucre est devenu une denrée rare. Au lieu de supporter le prix qui peut avoisiner les 7000 BIF, autant se rabattre sur ces jus », confie-t-elle, amère.

De son côté, Patrice, un tenancier d’une échoppe à Kamenge pense que résoudre le problème de la pénurie du sucre revient presque à chercher la quadrature du cercle. Fataliste, il préfère attendre calmement un message lui notifiant qu’il peut passer récupérer du sucre. Des notifications qui se font de plus en plus rares. « Les grossistes se sont reconvertis en détaillants. Ils vendent le sucre au détail et nous autres, il ne nous reste que des miettes », regrette-t-il.

En province Cibitoke, certains consommateurs utilisent un système de substitution assez inédit. Pour épargner leurs palais de l’amertume du thé sans sucre, ils pilent la canne à sucre dans des mortiers et recueillent le jus qui fait office de sucre. « Nous n’avons pas d’autre choix. De toutes façons, ce n’est pas demain  que nous aurons le sucre », explique un d’eux. 

La SOSUMO croule sous la demande

À des centaines des kilomètres de Bujumbura, Shanga aux bords de la Malagarazi en commue Gihofi, province Rutana. Sur la cannaie de la Société sucrière du moso (SOSUMO), le vent qui souffle sur les cannes à sucre donne l’impression d’une houle sur une mer verte.

A première vue, l’étendue est impressionnante. Mais, à certains égards, cela n’est qu’une impression. Comparée à la demande du marché, la production de la SOSUMO est insuffisante. Cette année, la sucrerie a produit près de 16.000 tonnes contre 20 l’année passée. Cela, alors que les chiffres de la BRB montrent que la demande au niveau national avoisine les 45.000 tonnes. 

 Seule productrice du sucre sur le sol burundais, la SOSUMO a connu les ravages du temps et n’a pas su vraiment suivre la courbe de l’évolution de la demande. La grande partie des cannes de la SOSUMO date des débuts de l’usine, « alors que les cannes doivent être remplacées tous les 7 ans », explique Jean Claude Ntwari, directeur agricole à la SOSOMU. Résultat, une partie importante de cannes porte déjà des signes de dégénérescence.

Pour palier à ce problème, la sucrerie a lancé un programme d’essai de 30 variétés de sucre riches en fibre et saccharose adaptées au sol de Gihofi. « Un programme qui portera des fruits, mais faudrait-il aussi que nous ayons des fonds pour l’irrigation afin de cultiver la canne à sucre sur les collines au lieu de rester dans les bas-fonds », explique ingénieur Ntwari qui précise que ces réformes permettraient à la SOSUMO de produire 35.000 tonnes.

La distribution, là où le bât blesse

L’importation vient couvrir le gap entre la production et la demande. Rien que dans la décennie 2010-2020, l’importation par année a augmenté de 68% (passant de 13.500 à 23.000 tonnes). Pour ce qui est de la distribution de ce sucre, la SOSUMO s’en lave les mains. « Nous déposons le sucre chez les grossistes et les autorités administratives prennent le relais », précise le général Aloys  Ndayikenguruiye, ADG de la SOSUMO.

Selon une source à la direction commerciale de la SOSUMO, quatre pôles reçoivent  le sucre mensuellement comme suit : Ngozi 750 tonnes ; Bujumbura 1434 tonnes ; Gitega 450 tonnes et Gihofi 150.

C’est cette quantité qui est distribuée aux ménages, aux institutions et aux unités de transformations de produits agricoles. Ces dernières sont particulièrement friandes du sucre de la SOSUMO. Rien que depuis 2019, le BBN (bureau burundais de normalisation) a délivré plus de 130 licences aux unités de transformations de jus.

Pour N.C, commerçant qui a requis l’anonymat, ces unités de transformations bénéficient de passe-droits pour avoir le sucre qui devrait être servi aux ménages. « Vous verrez que ces structures manquent rarement de sucre », appui-t-il. Sur le point des services qui reçoivent du sucre, N.C trouve cela « indécent ». Il s’explique : « Ces gens vont revendre ce sucre à des prix exorbitants, d’autant plus qu’ils sont dans une position de force en cas de pénurie ».

Une autre tare qui mine la distribution du sucre reste le clientélisme. Des hauts placés reçoivent les marchés et les affinités dament ainsi le pion aux logiques du marché.  Cela est à l’origine de moult exactions. Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME fustige la propension qu’ont certains administratifs à devenir commerçants. « Cela est à l’origine  de plusieurs formes de fraude quand les fraudeurs savent qu’ils ne seront pas punis, suite aux  positions qu’ils occupent », souligne Rufyiri.

Venir à bout du problème de la pénurie du sucre ne se fera pas comme par enchantement. Policer la distribution de ce produit sans oublier mettre en branle tout ce qu’il faut pour augmenter l’offre sur le marché restent les voies royales pour y arriver. 

 

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