Une forme inhabituelle d’infraction est-elle en train de s’incruster dans la société burundaise ? Un procès en flagrance vient d’avoir lieu à Gitega où un médecin accusé de non-assistance d’une personne en danger a écopé d’une peine de servitude pénale. Il devra aussi payer des dommages et intérêts (D.I). Comment est-ce qu’un médecin qui a juré de sauver des vies s’est-il retrouver à la barre des accusés ? Nous avons assisté au procès.
L’après-midi du 30 juillet 2025. Une petite foule attend devant la prison centrale de Gitega, attendant l’ouverture de la petite salle d’audience attenante à la prison. Tout ce petit monde qui attend avec patience le procès en flagrance du Dr Diomède Kabura. Il était sensé commencer 13h, mais il est 14h déjà. A quelque chose malheur est bon. Ce retard a permis au reporter de Yaga, dépêché en catimini dans la capitale politique, de ne pas louper le début du procès. 14h passé d’une dizaine de minutes, les honorables juges rejoignent la salle d’audience. La présidente du siège énumère les affaires au rôle du jour. Confirmation est faite : l’affaire Dr Diomède Kabura sera bien jugé en flagrance, ce qui veut dire que le verdict sera prononcé le même jour. Mais de quoi Dr Diomède est-il accusé ?
La fin triste de Moses
La procureure générale de Gitega a brièvement récapitulé le déroulement des événements. Nous sommes la nuit du 26 au 27 juillet 2025, à l’hôpital régional de Gitega où Dr Diomède Kabura officie en tant que médecin généraliste. C’est lui qui est de garde ce jour-là. Il fait le tour, comme à l’accoutumée, termine autour de 23h et se dirige vers la chambre de garde où les médecins se reposent. Aux alentours de 00h30’, l’état de Moses Igiraneza, un enfant de 9 ans, qui souffrait des problèmes respiratoires, se détériore. Il est amené en réanimation. L’infirmière de garde, se rendant compte de la gravité de la situation, envoie une travailleuse chercher le médecin de garde. Celle-ci toque sur porte de la chambre de garde. Diomède lui demande ce qu’elle cherche (sans ouvrir la porte). La travailleuse lui met au courant de la situation. Diomède lui répond, à travers la porte, qu’il ne va pas bien et demande à ce qu’on lui amène la fiche de suivi du patient pour voir s’il peut faire quelque chose. Entre temps, l’enfant commence à cracher du sang. En détresse, le père de l’enfant appelle lui-même Diomède au téléphone. Ce dernier lui répond : ‘’Ni mureke kungora’’ (Arrêtez de me les casser). Le père décide de s’en remettre à l’administrateur communal, qui fut le directeur de l’hôpital. Finalement, un autre médecin est dépêche pour essayer de sauver l’enfant. Mais celui-ci décède à 4h45’ du matin. Le médecin venu en rescousse prononce alors ces mots : « Ntimubona ko uwu mwana agiye kubera kubura umuganga ? » (Vous ne voyez pas que cet enfant vient de mourir parce qu’il n’avait pas de médecin ?). La procureure remercie les juges et se rassoie. C’est le silence dans salle d’audience pleine comme un œuf ! La juge unique demande, d’une voix calme, au Dr Diomède de s’expliquer. Tout le monde se demande silencieusement comment il va pouvoir expliquer ce qui s’est passé, tout paraît si clair avec l’introduction de la procureure générale.
L’accusé à la barre
Dr Diomède, qui a troqué la blouse blanche contre la combinaison verte des détenus, avance à la barre et entre en scène sans attendre. Première réaction : « Je plaide non coupable ». Il trace la ligne de sa défense sur laquelle ses avocats s’accrocheront, mordicus : il annonce d’abord qu’il souffre de maladies chroniques et qu’après le tour de garde, il a eu une crise. Il affirme qu’il a pris de médicaments et qu’il a par la suite était pris par de vomissements et de vertiges. Il assure qu’il était en détresse respiratoire au moment où on avait besoin de lui. Ses avocats lui emboîtent et parlent technique comme d’habitude. Les éléments constitutifs étant au nombre de trois : légal, matériel et moral ou intentionnel, l’un d’eux met au défi la procureure générale de démontrer le animus nocendi (l’intention de nuire) dans tout ce que le Dr Diomède est accusé, puisque la charge de la preuve incombe au demandeur, selon l’article 230 du Code pénal burundais. Un autre pousse l’outrecuidance très loin et dit que le médecin a l’obligation de moyen et non pas de résultat, ce qui veut dire qu’il doit tout faire pour soigner le malade, mais que, dans l’absolu, cela ne veut pas dire qu’il doit absolument le guérir.
La procureure générale en mode bulldozer
La procureure générale se lève encore une fois et s’emploie à battre en brèche les conclusions de la partie adverse. L’intention de nuire est là puisque sieur Diomède n’est pas intervenu pour assister l’enfant en détresse médicale. Elle est là quand on tient en considération les propos que le médecin a échangé avec le père de la victime. Quant à l’état de santé qui ne permettait au médecin d’intervenir, elle sort la grande artillerie. « Diomède, avez-vous averti le directeur de l’hôpital ou un collègue que vous n’étiez pas apte à vous acquitter de vos obligations ? » L’intéressé concédera plus tard que ‘’Hari akatagenze neza’’ (il y a eu un petit manquement). La procureure générale enfonce le clou : « Le Dr Diomède a été arrête le matin du 27 juillet 2025. Depuis son arrestation, il n’a pas eu des problèmes et n’a jamais été consulté par un médecin. Maintenant il se tient à la barre. ‘’Mubona atameze neza’’ ? (Vous ne voyez pas qu’il se porte bien ?) », demande-t-elle à l’auditoire.
Le réquisitoire
Les avocats du prévenu se battent comme des diables. Ils reviennent sans cesse sur l’état de santé du leur client. « Ntiyari gutabara nawe adashoboye kwitabara » (il n’était en état de sauver quelqu’un d’autre alors que lui-même souffrait). Quand au fait qu’il n’a pas averti la direction de ce fait, l’avocat rappelle que c’est une maladie chronique dont il souffre, et que donc, ce genre de maladies peuvent impliquer des crises passagères qui ne durent pas longtemps. Diomède espérait donc que ce n’était qu’une mauvaise passe, qu’il récupérerait vite tous ses moyens. Son homologue, a heurté la sensibilité de la partie civile quand qu’il a dit que même si leur client n’avait eu ces problèmes de santé, rien ne prouve que s’il avait soigné la victime celle-ci ne serait pas décédée quand même. Par contre, les deux avocats ne sont pas parvenus à expliquer pourquoi, après avoir échangé des propos peu aimables avec le père de la victime, Dr Diomède a éteint son téléphone.
Reprenant la parole, la procureure générale annonce qu’elle poursuit Dr Diomède sur base de l’article 498, al.2 qui dispose que « Est puni des mêmes peines (servitude pénale d’un an à trois ans et d’une amende de vingt mille à cent mille francs burundais, ou d’une de ces peines seulement), quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle soit en provoquant un secours ». Quant la partie civile, elle demande des D.I de 300 millions de Fbu, la restitution des frais médicaux que la famille a dépense, le gel des comptes du prévenu pour assurer les frais funéraires et sa révocation de la fonction publique.
Le verdict
Après la mise en délibéré, le juge du Tribunal de grande instance de Gitega a condamné le prévenu à la peine maximale de trois ans, une amende de 100 mille Fbu et au paiement des D.I de 50 millions de Fbu à la famille. S’il ne les paie pas, il sera condamné à la contrainte par corps. Par ailleurs, c’est lui qui devra payer les frais judiciaires.
Après le procès, le désormais condamné est retourné dormir à la Prison central de Gitega où il était déjà écroué. En revanche son avocat, Me Clément Nzeyimana avec qui nous nous sommes entretenus après le procès, a fait savoir qu’ils allaient interjeter appel, parce selon lui, son client, qui souffrait de maladies chroniques comme l’insuffisance rénale et cardiaque n’a pas à être condamné, parce qu’il n’était pas à mesure de sauver la victime.
Un seul hic, certains praticiens du droit ne comprennent pas pourquoi la partie civile s’est adressé au prévenu pour les D.I, car il est fort probable que ce dernier est insolvable ou le deviendra bientôt. Selon elle, la partie civile aurait dû s’adressé à l’hôpital de Gitega qui est solvable et employeur du médecin condamné. Une erreur stratégique ? Nous avons essayé de contacter l’avocat de la partie civile pur lui demander son avis. Au moment de la publication, il n’avait pas encore répondu à nos sollicitations.
Des cas de lamentations de ceux qui fréquentent les structures de soins légion. Récemment, une affaire d’un patient mort à la clinique Agape de Cibitoke a défrayé la chronique. Dernièrement, un blogueur a raconté sa mésaventure dans un des hôpitaux de Bujumbura. La publication de ce texte a été suivie d’une salve de commentaires des gens qui ont vécu des expériences malheureuses dans les centres de soins. Joint au téléphone, Dr Philibert Sendegeya, président a.i de l’Ordre des médecins a fait savoir que tout le personnel ne sont pas des docteurs, qu’il ne faut généraliser. Il a indiqué en outre que les responsables des centres de soins devraient enjoindre à leur personnel soignant de porter toujours un badge pour permettre d’identifier le fautif en cas de faute professionnel.
