article comment count is: 0

Affaire Emilienne Sibomana : comme un goût d’inachevé

Bien que l’ancienne secrétaire du Lycée Christ-Roi ait été libérée, certaines questions restent sans réponse. Quelle sera la suite du dossier, puisque la justice n’a pas encore dit son dernier mot ? Aussi curieux que cela puisse paraître Emilienne n’est pas encore totalement disculpée, puisque le ministère public avait déjà introduit une requête de pourvoi en cassation avant sa libération. Après la liesse suscitée par la libération de cette désormais icône de la lutte contre les violences basées sur le genre, retour sur les questions en suspens.

Dès que la nouvelle de la libération d’Emilienne Sibomana a filtré dans les médias, je me suis précipité vers le téléphone pour essayer de la contacter. Je voulais en avoir le cœur net. Ayant régulièrement couvert son procès, je savais que le ministère public avait introduit un pourvoi en cassation après l’acquittement prononcé par la Cour d’appel de Gitega. Quand j’ai compris que c’était grâce à la mesure de clémence récemment prise par le Chef de l’État pour certains détenus, j’ai contacté un juriste pour essayer de comprendre. En principe, la grâce présidentielle n’intervient que pour les affaires ayant acquis force de chose jugée. Cela sous-entend aussi que cette affaire n’a pas été totalement vidée, malgré la libération intervenue. Dès lors, des questions se posent.

La justice sépare la victime du criminel

Lorsque le ministère public a décidé de se pourvoir en cassation, la Cour suprême saisie devrait sans doute se prononcer sur la recevabilité ou non du pourvoi. Maintenant que le décret présidentiel n° 100/167 du 31 octobre 2024 portant mesures de clémence pour certaines catégories de détenus a libéré Emilienne Sibomana, qu’est-ce qui va se passer ?

Ce n’est pas tout. Si la dame de Gitega avait gagné le procès sans contestation ou après recours, elle aurait pu demander à être rétablie dans ses droits. Cela inclut la réintégration à son travail, avec versement de tous les salaires dont elle a été privée, comme l’avait recommandé l’arrêt RP 3336/Git ayant décidé de l’acquittement d’Emilienne. Maintenant qu’elle n’a bénéficié que de la clémence du Chef de l’Etat, que va-t-il se passer ? Me Edgar Muhirwe, un de ses avocats, assure que la procédure continue. Il indique que la défense a déjà répliqué aux conclusions du ministère public et que les assignations sont déjà sorties. Cela veut dire qu’une audience est proche. Mais là aussi une autre question cruciale se pose : et si la Cour suprême cassait l’arrêt de la Cour d’appel de Gitega ? Emilienne devra-t-elle retourner au bagne malgré la clémence ? C’est affaire est une véritable imbroglio juridico-légale !

La justice sépare aussi le criminel de son crime

Emilienne n’est pas seule dans cette histoire. Le directeur du lycée Christ-Roi, un prêtre, s’était constitué partie civile au procès. Il a sans doute été content de la décision du ministère public d’attaquer l’acquittement d’Emilienne par la Cour d’appel de Gitega. Autrement ? Au mieux, il aurait perdu les dommages et intérêts de 5 millions BIF lui attribués au premier degré par le tribunal de grande instance de Gitega. Au pire, il aurait été poursuivi dans un nouveau procès. En effet, si la justice blanchissait totalement Emilienne sur le chef d’accusation de dénonciations calomnieuses, cela voudrait dire que ses accusations contre le directeur étaient fondées.

Par ailleurs,  si le procès va jusqu’au bout , cela permettrait à l’abbé d’être totalement disculpé de ses accusations. Si cela n’est pas le cas et que le procès se termine en queue de poisson, un petit doute subsistera quant à son innocence ou sa culpabilité. Son honneur ne sera pas lavé de tout soupçon.

Les ratés du procès

Les avocats de la défense ont souvent répété que la procédure était mal engagée dès le début. Quand Emilienne a publiquement dénoncé les abus sexuels, évoquant même un matelas dans le bureau du directeur (preuve matérielle potentiellement exploitable), aucune action n’a été entreprise à chaud pour vérifier ses dires. À sa grande surprise, c’est elle qui sera arrêtée le lendemain par les services de renseignement et la police. Ce qui, sans doute, a refroidi d’éventuels témoins.

Dès le départ, elle a donc été présumée coupable. Une autre iniquité a caractérisé le procès. Dans les parquets et les tribunaux du pays, des cellules ont été mises sur pied et formées spécifiquement pour le traitement des affaires liées aux violences basées sur le genre. Dès qu’il y a soupçon de viol, ces cellules sont rapidement mises à contribution pour traiter le cas de façon prioritaire. Pourquoi le cas d’Emilienne n’a-t-il pas été confié à la même cellule au tribunal de grande instance de Gitega ? Si cette dernière avait été sollicitée, peut-être que le déroulement et l’issue de ce procès auraient été différents.

Une autre bizarrerie a entaché ce procès et étonné une certaine opinion. Malgré son acquittement par la Cour d’appel de Gitega, Emilienne a été maintenue en détention alors que la loi en dispose autrement.

Last but not least, il y a la discrétion de l’Église catholique. Avec un de ses prélats accusé d’un crime d’une telle gravité, elle était dans une position délicate. Il n’en reste pas moins étonnant qu’elle n’ait même pas pris la peine d’écarter le suspect de ses fonctions de directeur d’école, le temps du procès. Car oui, le lycée Christ-Roi est une école sous convention catholique. L’Église avait-elle mené ses propres enquêtes et conclu que le prêtre était innocent des faits qui lui étaient reprochés ? Je donne ma langue au chat.

 

Est-ce que vous avez trouvé cet article utile?

Partagez-nous votre opinion