Le Burundi vient de refermer sa frontière avec le Rwanda, dans le sillage des déclarations que le président Ndayishimiye a fait à la fin de l’année 2023. Comment comprendre cette montée de tension entre les deux pays ? Quelles peuvent être les implications sur le plan régionales ? S’agit-elle réellement d’une simple fermeture ou d’un positionnement géostratégique bien pensé ? Ce blogueur pense à haute voix.
Ce 11 janvier 2024, le Burundi a procédé à la fermeture de sa frontière avec le Rwanda dans un contexte de forte tension dans la région des Grands-Lacs. Cette fermeture intervient après la sortie médiatique très acerbe du président de la République du Burundi où il accusait le Rwanda de soutenir les rebelles burundais de Red-Tabara. C’était à la veille de l’attaque meurtrière de Vugizo qui a fait de nombreuses victimes.
Le ton entre les deux pays est monté d’un cran, alors que la guerre fait rage à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) où les troupes burundaises seraient aux côtés des FARDC (l’armée congolaise) pour combattre les groupes armés qui pullulent dans cette région, dont le M23. Kinshasa et les Nations Unies accusent le Rwanda de soutenir le M23. Le Rwanda, à son tour, accuse la RDC de soutenir les FDLR constitués par les rebelles rwandais. L’ennemie de mon ami étant naturellement mon ennemi, c’est donc presque normal que les autorités burundaises ont décidé de couper les ponts avec le Rwanda. Cette décision ne manquera pas de produire des conséquences.
Difficile de ménager la chèvre et le chou
Le président Evariste Ndayishimiye l’a bien dit, lors de l’émission publique de Cankuzo du 30 décembre 2023, iyo inzu y’umubanyi iriko irasha, utamufashije kuzimya, na gwawe irashikirwa (quand la maison du voisin brûle, la suivante à brûler, c’est la vôtre si vous ne l’aidez pas à éteindre le feu). En prenant la décision de fermer la frontière, le Burundi a donc fait son choix. Dans cette optique, nous ne sommes pas seulement en face d’une simple fermeture de frontière, mais un positionnement stratégique, un alignement par rapport aux objectifs géostratégiques, comme d’autres pays le font. La question est de savoir si nous avons fait le bon choix ou pas. Cela, nous le saurons après un certain temps.
Difficile de maintenir de bonnes relations avec deux voisins qui sont à couteaux tirés quand nous avons un parti pris dans ce conflit. Difficile de ménager la chèvre et le chou. C’est donc logique de laisser tomber le voisin du nord. Sauf que même la RDC, qui piaffe d’impatience d’en découdre avec Kagame, n’a pas encore fermé la frontière avec le Rwanda. Entre Goma et Gisenyi, le business continue, as usual. Albert Shingiro, ministre des Affaires étrangères, a expliqué à ce sujet que chaque pays est souverain et prend des mesures adéquates pour son bien.
Nous pouvons dès lors nous demander pourquoi on n’a pas procédé d’une manière graduelle avant d’en arriver là ? Diplomatiquement, dans les relations entre les pays, avant de prendre des mesures plus drastiques, on convoque l’ambassadeur du pays pour lui demander des explications. On peut aussi rappeler l’ambassadeur pour consultation, s’il s’agit d’une affaire très sérieuse. Dans cet ordre d’idées, on peut aussi mentionner la fermeture de la représentation diplomatique, l’expulsion des diplomates du pays concerné, etc. C’est la forte tension qui expliquerait peut-être pourquoi on a directement passé à la vitesse supérieure.
Des implications régionales ?
Certains n’hésitent pas à affirmer que le gouvernement du Burundi a pris cette mesure pour faire plaisir à la RDC. Rappelons que le Grand pays est la 1ère destination des exportations du Burundi. Ménager son partenaire d’affaires est tout sauf insensé. Entre temps, Kinshasa vient de chasser, sans ménagement, les forces d’interposition en provenance de certains pays de l’EAC, ce qui n’a pas manqué de froisser les dirigeants de ces pays. La fermeture des frontières entre deux pays d’une même organisation d’intégration régionale n’est pas de nature à favoriser le développement de ses membres. D’ailleurs, dans son communiqué, le gouvernement rwandais rappelle que cela « viole les principes de coopération et d’intégration régionale de la Communauté Est-Africaine ».
Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que cela arrive, et ce n’est pas entre le Burundi et le Rwanda seulement. En 2019, le Rwanda avait fermé sa frontière avec l’Ouganda. Elle n’a été rouverte qu’en janvier 2022. Sans conduire à la fermeture totale des frontières, certains conflits ont mis à mal les fondements de l’EAC. Ici, on citerait l’exemple du conflit qui a opposé le Kenya à la Tanzanie à cause d’un différend lié au transport des marchandises par les poids lourds.
Tous ces conflits ne risquent-ils pas de miner le développement des pays de l’EAC, et conduire à sa dissolution dans le pire des cas ? C’est une question qui mérite d’être posée en ces temps où la RDC qui, faut-il le rappeler, est un des membres de l’EAC, après avoir chassé les forces de l’EAC, préfère recourir aux forces de la SADC, pour restaurer la paix et la sécurité à l’Est. Attendons et voyons où tout cela va nous mener.