La nuit du 20 au 21 octobre 1993 a été fatidique pour le Burundi. Le président Melchior Ndadaye et ses proches collaborateurs sont assassinés dans un coup d’Etat militaire. Le pays s’embrase. Des tueries sur base ethniques sont signalées ici et là. Paradoxalement, sa colline natale Murama, commune Nyabihanga, province Mwaro, pleure son président dans le calme. Et ce, grâce au message du père du président défunt.
« Uwunkunda, ntakwirikize amaraso umwana wanje » (que celui qui m’aime, n’accompagne pas mon fils avec du sang). Cette phrase a sauvé des vies, selon les témoignages des habitants de Murama, la colline natale de feu président Melchior Ndadaye. Son auteur n’est autre que Pie Ndadaye, le père du héros de la démocratie, Melchior Ndadaye.
« Après les informations annonçant l’assassinat du président Melchior Ndadaye, j’ai vu une équipe de gens m’envahir à la maison. Armés d’armes blanches, ils m’ont menacé et m’ont dit que je devais leur donner mon autorisation pour ‘’manger les vaches’’ des Tutsi qui, selon eux, venaient de tuer le président », raconte Paul Habonimana, qui était à cette époque, chef de colline Murama. Au cas contraire, poursuit-il, « ils m’ont dit qu’ils allaient commencer par moi ».
Nous sommes dans l’après-midi de vendredi 22 octobre 1993. Cet homme se souvient de tous les détails comme si c’était hier.
Pris de panique, il a alors accepté de partir avec eux. Mais non pas pour manger les vaches des tutsi. Au contraire, il les a conduits chez Pie Ndadaye, le père du défunt président Melchior Ndadaye. Mais avant cela, M. Habonimana a pris le soin de consulter d’autres notables, comme feu Léonard Ndabaniwe qui était d’ailleurs son parrain, feu Tharcisse Bampoyubusa qui était un catéchiste reconnu, son grand frère Angélus Ntahomvukiye et d’autres.
Pour avoir le temps d’avertir les voisins Tutsi, ces notables ont décidé de se rendre chez Pie Ndadaye. « Le connaissant, j’étais convaincu qu’il n’allait pas accepter la vengeance », indique-t-il. Arrivés à son domicile, sis à la sous-colline Nyabibuye, d’autres notables étaient là. Isidore, le frère de Pie Ndadaye était aussi présent. « Il nous a accueillis chez lui. Et comme j’étais le chef de colline, j’ai eu avec lui des échanges en aparté. Je lui ai raconté ce que voulaient ces gens et je lui ai donné ma position. Heureusement, nous émettions sur les mêmes ondes. Et nous nous sommes mis d’accord sur le message à donner », se souvient cet ancien chef collinaire, aujourd’hui âgé de 67 ans.
Devant ces personnes enragées, Pie Ndadaye va déclarer : « Ndasavye mwabantumwe, ntihagire umuntu numwe ahirahira akwirikirize amaraso umwana wanje. Umwana wanje yamaze guhwera, ndabasavye uwunkunda ntakwirikize amaraso umwana wanje. » (Je vous en supplie, que personne n’accompagne mon fils avec du sang. Mon fils est déjà mort, je demande à celui qui m’aime de ne pas verser du sang.»
Après ces mots, il a demandé à ces gens de rentrer chez eux, sur leurs collines, et de rester calme. Et la foule n’avait d’autres choix que de rebrousser chemin et de respecter le message de feu Pie Ndadaye, qui, selon Paul Habonimana, était un notable avéré et respecté.
« Il nous a sauvés la vie. Nous avions si peur », affirme, pour sa part, Mathias Kana, un tutsi de cette colline. Lui aussi notable, il indique que la déclaration de Pie Ndadaye les a tranquillisés : « Et la colline est restée calme. Personne n’est venu s’en prendre à nous ou à nos vaches. »
D’après l’ancien chef de colline, une seule personne a été portée disparue sur la colline Murama : « En fait, un certain Marc a eu peur. Et il a, peut-être, pris le chemin pour fuir et il n’est jamais revenu », regrette-t-il, notant qu’après ce vendredi tragique, des réunions ont été tenues pour que Pie Ndadaye puisse continuer à donner le même message, appelant les gens à ne pas s’en prendre aux voisins pour des motifs ethniques.
Le père Ndadaye dans les traces du Roi Mwambutsa IV
« C’était un homme de paix. Quand je me retrouve devant sa tombe, je me rappelle toujours de son message qui a sauvé des vies, qui a épargné la colline dont j’étais responsable. Qu’il se repose en paix », glisse M. Habonimana, précisant que Pie Ndadaye était né en 1925. Il est mort en 2005.
Sa phrase salvatrice s’apparente à celle prononcée par le roi Mwambutsa IV après l’assassinat de son fils aîné, le Prince Louis Rwagasore, commente un ancien député, natif de Mwaro : « Uwugomba kumpoza ntampore » (que celui qui veut me consoler, ne me venge pas. »
D’après lui, c’est dans ces termes que le roi a empêché la vengeance. « Vous constaterez qu’avec des mots simples, des gens parviennent à se démarquer, en s’opposant au mal. Pie Ndadaye a dépassé la douleur qu’il ressentait avec l’assassinat de son fils et a fait preuve d’une grande humanité et d’un courage exceptionnel », souligne-t-il, notant que cela a été un honneur pour lui, la colline, la commune, etc. « Que les Burundais ne disent pas qu’ils n’ont pas de référence de bravoure, d’humanité. Le cas Pie Ndadaye en est une.» Selon lui, n’eût-été ce message, Murama aurait été un épicentre des tueries, et de la vengeance.
A Murama, l’héritage du couple Pie Ndadaye-Thérèse Bandushubwenge reste vivant. Une octogénaire interrogée avoue que c’était une famille extraordinaire, exemplaire avant même que Melchior Ndadaye ne devienne président de la République : « Je sais que beaucoup de gens sur cette colline ont été aidés par cette famille. Il y a des enfants qui ont eu des cahiers, des stylos, pour faire leurs études. Ou lors de la saison culturale, on n’hésitait pas à aller demander des semences à Thérèse. »
Insistant sur le caractère exceptionnel de Thérèse Bandushubwenge, la mère de feu président Ndadaye, elle se souvient qu’elle donnait beaucoup de conseils aux femmes des alentours.