Les œuvres littéraires, qu’elles soient fictives ou académiques, sur le passé tragique du Burundi ne manquent pas dans les bibliothèques. Difficile, pourtant, de ne pas constater que tel écrivain, historien, sociologue, etc., ne plaide que pour son ethnie. La littérature burundaise traitant de notre passé, peut-elle surpasser nos cicatrices, et participer dans le processus de réconciliation ?
L’écrivain burundais, Roland Rugero, auteur de « Baho ! » ( 2012, Vents d’ailleurs), roman qui « s’attaque aux traces indicibles laissées par la guerre en décrivant comment la violence et le doute s’immiscent même au cœur des mots », disait, il y a quelques années, que ce qui serait moins entraînant dans le métier d’écrivain au Burundi, est « le fait que l’écriture étant lié d’une manière ou d’une autre à la mémoire. (…) Il y a des perceptions qui font qu’on peut tomber dans le piège d’écrire pour une communauté. Écrire pour dédouaner, pour expliquer, pour se faire pardonner… ».
L’écrivain burundais, serait-il condamné à revivre son passé et à défendre (subjectivement ou objectivement) sa propre communauté ?
La question divise …
…et invite à une profonde réflexion puisque l’écriture est le fruit d’une inspiration. Et que cette dernière est jalonnée par le vécu. Deux livres brossent un tableau de la littérature burundaise qui traite du passé et nous prouvent sa complexité.
Deux autobiographies : « La Guerre des nez au Burundi » de Cyriaque Muhawenayo (2013, L’Harmattan) et « La Cicatrice » de Lydia Ininahazwe-Sentamo (2021, Éditions Iwacu).
La première, « se présente comme un récit de la souffrance d’un orphelin contraint à l’exil, le témoignage d’un réfugié dans différents camps de la sous-région, devenu militaire hutu dans une armée dominée par les Tutsi, puis rebelle …», écrivait Iwacu en 2013. La Guerre des nez au Burundi relate « la vie d’un jeune Burundais qui a connu la guerre et ensuite a vécu comme réfugié dans différents pays de la région des Grands Lacs comme le Rwanda et la Tanzanie ».
Quant à La Cicatrice de Lydia Ininahazwe-Sentamo, c’est « le récit d’une errance dans une région gangrenée par la haine ethnique : du Burundi au Congo, en Tanzanie, au Rwanda puis encore au Burundi ». Lydia Sentamo Ininahazwe, Tutsi, a perdu son père et ses deux frères à l’aube de la tragédie qu’a connue le Burundi après l’assassinat du président Ndadaye.
Nous faisons donc face, ici, à un cas courant dans la littérature burundaise de l’après-guerre (ici, on parle des œuvres qui traitent du passé tragique du Burundi). Des auteurs d’ethnies différentes qui narrent des histoires presque similaires, mais chacun n’hésitant pas à se positionner du côté (à cause des circonstances dont il n’est pas responsable) de sa communauté, même si l’idée de départ n’était pas de prendre position.
Si certains ne prennent pas position directement, d’autres écrivains n’hésitent pas à affirmer leur opinion. Nous ferons fi de ces œuvres qui frôlent parfois l’extrémisme.
Quant à l’historien, le sociologue, l’anthropologue burundais, dont le rôle est de faire une lecture du passé, comment se démène-t-il ? L’exercice d’écrire sur notre passé est-il aisé ? Ou est-ce une tâche herculéenne ?
Est-il difficile de parler de l’histoire du Burundi ?
« Les intellectuels burundais sont ceux qui créent la confusion lorsqu’il faut raconter l’histoire du Burundi », répond Dr. Désiré Manirakiza, sociologue et professeur des universités dans une vidéo explicative produite par Yaga sur « Pourquoi est-il difficile de parler de l’histoire du Burundi ? »
Dr. Manirakiza explique : « Maintenant, la question serait plutôt de savoir pourquoi les intellectuels burundais créent la confusion autour de l’histoire, qu’elle soit ancienne, qu’elle soit récente ou l’histoire présente ? (…) les intellectuels burundais sont en réalité des Burundais. C’est-à-dire qu’ils sont nés et ont grandi dans cet environnement pollué par l’ethnisme ».
Selon ce sociologue burundais, « les mêmes sévices que d’autres Burundais vivent, les intellectuels burundais les vivent également ».
Dans cette même vidéo explicative mentionnée en haut, on apprend que « l’autre raison qui pousse l’intellectuel burundais à être subjectif avec l’histoire, ce sont les violences qui ont jalonné notre passé post-colonial. Des violences qui ont visé et refaçonné nos intellectuels ». On comprend donc par-là, que l’écrivain burundais a du mal à se détacher du passé tragique qu’a vécu le Burundi. Comme tous les autres Burundais.
Mais s’il semble être condamné à rester dans l’abîme du passé, l’écrivain burundais, intellectuel de surcroît, peut participer à la réconciliation entre Burundais.
« La littérature peut jouer un grand rôle dans le processus de réconciliation »
Rickie Nelly Ndagano est chercheuse en justice transitionnelle. Interrogée sur le fait que l’on peut deviner l’ethnie d’un historien en se basant sur le fond de ces écrits, elle répond : « Je pourrais difficilement discuter des écrits d’historiens comme ça en vrac, sans partir d’un exemple concret. Mais si quelqu’un se dit historien et qu’il écrit en tant que tel ; je veux dire si son travail est le produit d’un travail fait dans les règles de l’art d’un scientifique alors il s’agit là, en tout ou en partie, d’une vérité historique ».
Cette chercheuse en justice transitionnelle tente d’éclairer : « Mais nous n’aimons pas toujours ce que nous découvrons, notamment lorsque cela heurte nos sensibilités ou ce que nous considérions comme « vérité », ou encore lorsque cela réveille nos traumatismes. L’historien ne pourrait dans ce cas-ci être tenu pour responsable des interprétations que les uns et les autres font des éléments mis en lumière. Maintenant, bien sûr qu’il est permis de discuter, voire même débattre, de ces éléments-là ».
La littérature, en général, peut-elle aider dans les avancées des mécanismes de justice transitionnelle ? Ricky Nelly Ndagano confirme : « Bien sûr que la littérature, tout comme toute autre forme d’art, peut jouer un grand rôle dans le processus de réconciliation ; notamment à travers l’éducation, la sensibilisation, l’information, voire même le plaidoyer par exemple pour la vérité, la reconnaissance et la justice (entendue dans son sens le plus large) des crimes commis ».
Elle renchérit : « Il arrive que par un écrit, nous puissions deviner l’ethnie ou la tendance politique de son auteur, mais pour autant à mon humble avis, cela n’est pas forcément de nature à freiner le processus de réconciliation parce que ce n’est pas cela le problème au fond ».
Pour elle, il est bien que l’on se rende compte que plusieurs récits cohabitent dans le cas du Burundi par exemple, et qu’il faut arriver à accepter la diversité de ces récits : « C’est bien que tous ces récits-là s’expriment parce qu’en réalité, il n’y a pas qu’une seule vérité ».