Le Burundi a mis en place des mécanismes de justice transitionnelle pour panser les plaies du passé. Cela passe par une maitrise de la mémoire. Dans cette entrevue, Jean Bosco Harerimana, titulaire de la chaire « justice transitionnelle et paix » à l’Université du Burundi livre sa lecture de ce qui devrait être fait au Burundi pour une justice transitionnelle effective.
Yaga : Qu’est-ce qu’est la justice transitionnelle pour les profanes ?
Jean Bosco Harerimana : C’est un ensemble de mesures qui sont mises en place pour réconcilier les sociétés qui viennent de passer une période de dictature ou de guerre civile. Elle repose sur quatre piliers. La justice, c’est-à-dire essayer d’identifier les auteurs clés qui ont participé dans la planification et l’exécution de crimes imprescriptibles et les traduire en justice.
Le deuxième pilier c’est le droit à la vérité. Les victimes, les survivants et les citoyens en général doivent savoir ce qui s’est passé. Cette vérité répare les survivants, les victimes.
En troisième lieu il y a la réparation. Elle peut être symbolique à travers les monuments par exemple ou la construction d’infrastructures publics. Il y a aussi la réparation matérielle qui touche les victimes de façon individuelle ou communautaire.
Il y a enfin les garanties de non répétition. Cela passe principalement par les réformes institutionnelles. Cela s’opère souvent dans les corps de défense. Il y a également ce qu’on appelle le vetting qui est un mécanisme qui exclut les responsabilités de ceux qui se sont illustrés dans les exactions.
Yaga : Quelle justice transitionnelle adaptée aux réalités burundaises ?
J.B.H : Au regard de notre contexte, nous sommes dans l’impossibilité de toucher les quatre piliers. Nous devrions adopter les voies qui vont plus dans la réconciliation. Nous pouvons bien sûr chercher la vérité et déboucher sur la réconciliation mais cela prendrait beaucoup plus d’investissement. Il est recommandé de privilégier les mécanismes non formels, qui ne dépendent pas directement de l’Etat. Dans les villages, collines, familles, ce sont eux qui savent ce qui est arrivé. Il y a des pays où cela a marché comme au Mozambique. Ça peut marcher avec le concours des Eglises par exemple.
Yaga : Quelle est votre lecture des mémoires qu’ont forgées les différentes crises ?
J.B.H : Les mémoires au Burundi se sont construites autour de deux concepts ethniques. Certaines personnes des milieux hutu arguent que tout le malheur qu’ils ont eu est venu des tutsi, et inversement. C’est ce genre de mémoires que l’on a transmis. Mais en réalité ce n’est pas vrai. Comme le stipulent les accords d’Arusha, le problème burundais est politique avec des dimensions ethniques. C’est d’abord un problème politique et non ethnique.
Yaga : Quel est le danger d’une telle situation ?
J.B.H : La globalisation. Une telle construction des mémoires fait que les enfants hutu grandissent en pensant que tous les tutsi sont mauvais et les enfants tutsi pensent que les hutu sont tous mauvais.
Yaga : Comment y remédier alors ?
J.B.H : Le discours officiel doit faire savoir que le problème burundais est d’abord politique. Il doit aussi y avoir le concours des organisations de la société civile, des églises, des mosquées, des cercles académiques. Il faut qu’on en parle partout et que l’on déconstruise cette construction des mémoires qui nuit à l’établissement de l’Etat-nation.
Yaga : Que doit être la posture de la jeunesse ?
J.B.H : Elle doit être critique. Il faut que la jeunesse s’arme d’un esprit critique et ne consomme pas tout ce que l’on leur inculque dans différents cercles. Cheminer dans une démarche de construction d’un Etat-nation, c’est ce qui sauvera la jeunesse. Ce n’est pas le regroupement en ethnies, provinces, clan. Non. Les jeunes doivent avoir un esprit critique face à la mémoire binaire hutu /tutsi.