La société burundaise ne connaît plus les ethnies, ni dans la Constitution, ni dans la vie quotidienne, encore moins dans la pratique quotidienne. Ce qui semblait impossible jusque-là s’est produit en 2060. Retour sur la conférence de Prof X, ethnologue burundais, dont les travaux contribuèrent à éveiller les consciences et à pousser le gouvernement à revoir la question ethnique.
C’est un homme d’une soixantaine d’années. Lunettes tombant sur le nez, l’archétype du professeur des universités, X se tient ferme dans cet amphithéâtre de l’Université du Burundi jadis surnommée « l’amphithéâtre des Hutus » car il se situe tout près d’un monument commémorant le massacre des étudiants Hutus ayant eu lieu en 1995. Tout un symbole.
X annonce ses travaux d’une voix mélodieuse et courtoise. La passion se lit dans son regard. Il détient un doctorat en anthropologie et ethnologie. Les grandes écoles européennes et les universités de l’Ivy League américaine s’arrachent ses services. Il serait impossible de ne pas louer cet enseignant dont les travaux contribuèrent à une transformation profonde d’une société blessée et divisée, à travers la science.
La science avec conscience
« Dès son indépendance, le Burundi fait face à des querelles incessantes entre les deux ethnies majeures du pays : les Hutus et les Tutsis. Il nous a fallu longtemps pour comprendre que nous nous sommes déchirés à cause des chimères », débute Prof X devant une assemblée en grande partie composée d’étudiants, universitaires, journalistes et membres du gouvernement.
Son dernier ouvrage « La question ethnique : origines et explications » a été unanimement salué dans les cercles universitaires. L’essai relate les facteurs qui influencent la radicalisation des individus qui, après avoir sucé sur le téton de la haine, parviennent à transmettre celle-ci de générations en générations.
Il aborde également la question, épineuse, de l’intelligentsia. Cette dernière se convainc d’une vérité qui n’en est pas une et la soutient mordicus malgré tout. Il donne l’exemple du discours d’un certain professeur d’Histoire de l’Université du Rwanda qui, dans les années 1990, insinua que les Tutsis viennent de l’Éthiopie et qu’il faut les renvoyer à travers la Nyabarongo. Idem pour Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazi et docteur en philosophie, dont les discours ont amplifié la haine contre les Juifs, avec ses théories sur la supériorité de la race aryenne. Chétif, boitant, les cheveux aux couleurs des ténèbres, Goebbels lui-même était loin d’être l’archétype de ladite race.
Deux heures passent. La présentation s’achève. Il est temps de poser des questions.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Dans l’assemblée, une jeune fille se lève. Elle demande :
- Professeur, j’ai toujours une question qui me taraude jusqu’à aujourd’hui. Comment arrive-t-on à faire croire un mensonge à tout un pays ?
- La classe politique, réponds X. Je m’explique. Si un homme ou une femme politique croit en une théorie qu’il/elle prend pour la vérité, alors il/elle peut l’insuffler dans le reste de la population.
- C’est donc la classe politique qui est coupable ? relance la jeune fille.
- Oui et non. Oui, car cette classe politique a le pouvoir de peser sur les idéologies en circulation dans le pays. Et non, parce que certains éléments ne peuvent être ignorés : dans le cas du Burundi, par exemple, la colonisation a nettement privilégié un certain groupe au détriment de l’autre ».
Le professeur X continuera à répondre à plusieurs questions des étudiants et des journalistes. Jusqu’à ce que le secrétaire permanent au ministère de l’Intérieur pose la question à un milliard de francs burundais : « Comment sommes-nous arrivés à croire que le nez est un trait distinctif d’une ethnie ? ».
X répond : « Au moment où la définition de l’ethnie reste jusqu’à aujourd’hui en 2060, “un ensemble de personnes que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la langue et la culture’’, cela suffit à faire comprendre que le Burundi n’a jamais eu d’ethnies telles qu’elles ont été conçues après 1962. En réalité, le Burundi n’a jamais connu d’ethnies basées sur la morphologie. Elles étaient plutôt basées sur les classes sociales et celles-ci ne distinguent pas nettement qui est Hutu, Tutsi ou Twa de qui ne l’est pas ».
« Autre point important, ajoute X, les phénotypes que l’on a longtemps présenté pour faire la part entre une ethnie et une autre ne font pas sens du tout. La génétique peut donner des caractères Tutsis à un Hutu et vice-versa. Les individus d’une société s’accouplent, font des enfants et à ce titre, se reconnaître Hutu ou Tutsi de par sa morphologie relève de la pure bêtise et l’on doit cesser d’y croire ».
L’assemblée acclame cette réponse de X. Plusieurs questions se suivent et d’autres universitaires interviennent. La conférence s’achève sur les interventions de deux illustres universitaires. Il s’agit d’Y, professeur de droit constitutionnel, dont le travail a permis la révision de la constitution héritée des accords d’Arusha, et de Z, professeur associé à l’université Paris-Sorbonne, pédagogue de renom et dont les travaux ont inspiré les manuels scolaires actuellement en vigueur au Burundi et dont le contenu est un véritable vaccin contre la haine ethnique. Loin de le contredire, tous vont abonder dans le sens de Prof X, chacun apportant des compléments propres à son domaine de spécialisation.
PS : cet article est une uchronie, c’est-à-dire une reconstruction fictive de l’histoire relatant les faits tels qu’ils pourraient se produire.
Je salue ‘exposé de ce prof!notre génération à besoin de vérité!á bas les propos mensongers des politiciens
C’est tellement intéressant !! Même si vous vous êtes servi d’une histoire fictive, une fois bien lue et bien comprise, elle contribue à la bonne cohabitation entre la population burundaise. Bien plus elle a un message à donner au gouvernement de ce qu’il devrait faire aujourdhui; que ça soit à travers la constitution, les séances de moralisation, leurs discours, dans les faits et les mots à l’atteinte de cette cohabitationou cohésion sociale. Ça lance un appel vibrant à tous les enseignants/ professeurs qui se veulent être de bons enseignants c’est-à-dire qu’elle les interpelle à contribuer pour atteindre cette cohésion. L’ aute appel est à l’endroit des médias, leur rôle à jouer pour embrasser cette cohésion et enfin elle nous montre que nous sommes les mêmes.