Lors de la crise interethnique qui a frappé les quartiers nord de Bujumbura, où régnaient des divisions entre voisins, Laurent Gahungu, ancien administrateur, qui a risqué sa vie pour la cohésion sociale de ces quartiers, résume ses actions en quelques mots : « Le monde aura toujours besoin de sacrifices humains pour s’en sortir. »
La crise était pourtant généralisée. La mention des quartiers Ngagara, Kinama et Cibitoke pour parler des violences qui ont émaillé les années 1990 à Bujumbura fait immédiatement penser à Laurent Gahungu, l’un de ces hommes qui se sont dressés contre les tueries, l’injustice et la haine fratricides et interethniques.
Comme nous l’a témoigné le journaliste culturel Christian Nsavye, lors d’une interview dans notre rubrique Akari Ku Mutima, Ngagara, Cibitoke et Kinama étaient, avant la crise, des quartiers où il faisait bon vivre, des lieux de paix, de convivialité et de fraternité. Cependant, au début des années 1990, la haine ethnique ne les a pas épargnés. Au contraire, la balkanisation s’y est installée.
Oser dire ‘’NON’’
Au milieu du feu et du sang, Laurent Gahungu, tutsi et membre de l’UPRONA (alors parti au pouvoir), résidait à Bukirasazi, dans le quartier de Kinama. « Disons que j’étais influent dans la prise de décisions. Je pouvais, en quelque sorte, contribuer au bien ou au mal de ce qui se tramait », affirme l’honorable.
Suite aux attentats rebelles à Bujumbura, notamment l’attentat du 20 novembre 1991 à Cibitoke, certains militaires se sont attaqués à la population civile, qu’ils accusaient d’héberger les rebelles. Cependant, témoigne Laurent, « ils se trompaient lourdement. À Bukirasazi, il n’y avait pas de rebelles. Les soldats allaient simplement malmener des innocents. Je vivais avec eux, je connaissais tous les recoins du quartier et ses habitants. Je suis donc intervenu pour empêcher les militaires de commettre l’irréparable. Ils étaient furieux et auraient pu massacrer tous ceux qu’ils rencontraient. J’ai pris le risque de les arrêter, et cela a réussi. »
Laurent Gahungu était conscient du danger qui le menaçait, car, comme il le révèle, les soldats et certains tutsis extrémistes commençaient à le menacer et à le soupçonner d’être un faux tutsi. « J’ai dû fuir vers Cibitoke, car la situation se dégradait. J’ai échappé de justesse à plusieurs attentats. », poursuit-il.
Plus jamais ça !
Cependant, il n’a jamais cessé de plaider pour les droits humains, quels que soient les risques. Plus tard, il sera même emprisonné pour s’être indigné contre l’injustice ethnique. Il rappelle qu’il y a un prix à payer lorsque l’on milite pour le changement. « J’ai toujours choisi de me ranger du côté des vulnérables, de ceux qui subissent l’injustice. Je savais que je risquais ma vie. Mais à quoi m’aurait servi de vivre tranquillement, tandis que des innocents étaient lynchés comme des moutons à l’abattoir ? », s’interroge-t-il.
Pour ce défenseur des droits humains, la vie est sacrée, et la défense de la liberté de l’autre est un devoir citoyen.