De Kumoso à Kirimiro en passant par Bweru, beaucoup de familles participent au groupement financier communautaire. Une solution simple et adaptée aux petits revenus, qui devance les banques et les microfinances. Enquête
Elle quitte la RN7 et se dirige vers l’une des habitations. Elle avance à grands pas. Elle semble stressée et ne veut pas me parler. Elle, c’est Jeanine Ndayishimiye, une femme enceinte, avec un air désespéré.
A force d’insister, elle accepte de répondre à mes trois questions. « Dépêchez-vous, il est 15 heures, je n’ai pas 2 800 BIF à verser au groupe de finance communautaire, dukomeze ibikorwa », déclare-t-elle d’emblée. Nous sommes dans la région de Kumoso, sur la colline Rongero, commune de Rutana. Loin du centre-ville de Rutana.
J’interviewe les officiels mais aussi les universitaires ou les gens sur le terrain. Souvent, je pose des questions simples. Je relance et reformule jusqu’à ce que mon interlocuteur saisisse ma question. Pourtant, Jeanine fait exception. Elle ne peine pas à saisir ma dernière question « Kubera iki utuguruye konti muri banki? » (Pourquoi tu n’as pas ouvert un compte bancaire ? Ndlr). Elle baisse les yeux. Une réponse pour un journaliste radio ou télé où les silences et les réactions et les gestes donnent aussi des informations. Mais ce n’est pas le cas pour un journaliste de la presse écrite.
A Kumoso, la banque un vocabulaire méconnu
Peut-être que mon interlocuteur n’a pas compris la question. Je relance pour la première fois. Jeanine marmonne. Les mots ne sortent pas. Je reformule ma question. « Woba uzi banki iri ngaha hafi. » (Tu connais une banque qui se trouve aux alentours ? Ndlr) C’est la dernière question, impossible de passer à autre chose et y revenir. A ce moment la femme fini par lâcher. « Je suis désolée. Même si je suis passée sur le banc de l’école, je ne sais pas ce qu’est la banque. »
Cette réponse met en évidence une autre réalité. Cette femme ne connaît pas les noms des banques situées à quelques centaines de mettre de son domicile. Néanmoins, ce qui est certain, depuis 2018, Jeanine épargne, demande des prêts, les rembourse et touche des dividendes. Pour reprendre ses termes : « Je ne peux pas me passer du groupement financier. Lorsque le business de mon mari a fait faillite, on m’a prêté de l’argent, j’ai construit une maison, j’ai acheté trois chèvres… »
A Bweru, le GFC, la banque des infortunés
A Bwagiriza dans la commune Butezi de la province Ruyigi, il n’y a pas de banque. Pour ouvrir un compte bancaire, il faut se rendre au centre urbain de Ruyigi qui se trouve à 20km. Cela n’inquiète pas Vénuste Nkurunziza. Ce dernier a trouvé une recette magique pour financer ses projets. En novembre dernier, il a créé un groupement financier communautaire de 18 personnes. La banque des infortunés. D’après ses dires.
Selon ce père de 2 enfants, l’argent va à l’argent pendant que l`eau va à la rivière. Les banques et les microfinances ne servent que les riches. « Regardez autour de nous, il n’y a ni banque ni microfinance. Mais, allez y voir le nombre de banques et microfinances installées au centre Ruyigi, vous verrez la différence », assure-t-il.
Dans cette localité, les tontiniers ignorent la nouvelle mesure de la banque centrale interdisant les activités des groupements non enregistrés. Une pilule dure à avaler. « Nous sommes tranquilles. Nous sommes reconnus par l’administration collinaire », confie Vénuste Nkurunziza.
A Kirimiro, GFC, une alternative pour fuir les banques
Nous sommes sur la colline Kibimba en commune Giheta. Plus on se rapproche de la capitale économique, plus le flou autour de la banque se dissipe. Pourtant, les témoignages des habitants révèlent un échec cuisant des banques et des microfinances dans les communautés rurales.
Maximilienne Bamporubusa, commerçante, se dit piégée par une microfinance. « J’ai contracté un crédit auprès d’une microfinance dans l’espoir de pouvoir démarrer mon business et faire des économies. Après trois mois, j’ai découvert que je me suis ruinée. »
Tout a commencé avec des promesses alléchantes de la part des agents de ladite microfinance. « Au début, on nous disait que c`était une banque qui veut promouvoir les activités économiques des femmes. Mais, c’était de l’arnaque », raconte-t-elle
Un crédit bancaire, une arnaque ?
La pauvre Maximilienne est tout de suite tombée sous le charme de cette généreuse microfinance. Du coup, elle a ouvert un compte, une condition sine qua non pour bénéficier d`un crédit sans garantie. Une opportunité unique à ne pas rater pour cette paysanne qui rêvait depuis longtemps de créer son petit business. « J’ai contracté un crédit de 130 mille Fbu », se remémore-t-elle.
La seule chose dont elle se souvient : ce prêt était remboursable en trois mois. Mais elle n’a pas su que ce don financier générerait des intérêts. Une information essentielle qui ne lui avait pas été fournie. Selon cette femme, la microfinance lui a dit qu’elle devrait rembourser 51 500 Fbu chaque mois.
Des conditions de prêts dissimulées
Comme convenu, la commerçante a versé la première et la seconde annuité dans les délais fixés. Au troisième mois, elle a remboursé 40 milles BIF dans l’espoir d’épurer sa dette. « Du coup, la banque m’a informée que je lui devais encore 25 mille Fbu », confie Maximilienne Bamparubusa.
A ce moment, elle s’est immédiatement rendu compte qu’elle s’est fait duper. La microfinance lui a accordé un financement avec un intérêt. Et la commerçante a demandé à l’employé de la dite microfinance le montant des intérêts : « Quel est le taux d’intérêt ? » La réponse du front office a assommé la débitrice. « Finalement, tu t’es endettée auprès d’une banque que tu ne connais pas ? ».
Selon Maximilienne Bamporubusa, à peu près 35 femmes sont tombées dans ce piège de la microfinance. Actuellement, elles sont toutes parvenues à s’en sortir saines et sauves. Depuis, tout le monde a divorcé de cette institution. Récemment, elle a appris que le taux d`intérêt était fixé à 8%.
Pour le moment, elle est affiliée aux trois groupements financiers communautaires. Elle épargne entre 500 et 2500 BIF par semaine. « J’ai emprunté dans trois groupement à peu près 100 mille dans chacun. » Les avantages sont nombreux. Le taux d’intérêt est de 5% par mois, on commence à rembourser les intérêts et après on rembourse le montant emprunté.
Et la part des banques commerciales ?
La difficulté des procédures administratives bancaires, de l’absence des garanties nécessaires exigées par les banques, l’impossible hypothèque, la menace permanente d’une vente de l’hypothèque et la faiblesse des revenus limitent les possibilités de prêts. En un mot, les institutions bancaires sont incontestablement passées à côté d’une partie de la réalité financière de notre pays. Qu’on l’avoue ou pas, les faits sont là. L’émergence des tontines explique l’échec du secteur bancaire burundais. Leurs activités ne sont pas adaptées ou appropriées aux besoins de la population locale.