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Les GFC : la résilience du petit « murundi » mis à l’épreuve ?

Le 31 janvier 2023, la nouvelle est tombée : l’enregistrement des nouveaux groupements financiers communautaires (GFC) est suspendu par la banque centrale (BRB). Cette mesure, même si elle autorise encore les activités des GFC déjà existants, certains membres (spécialement les moins nantis) craignent le pire. De Rutana, en passant par Ruyigi et Gitega, nous avons discuté avec quelques-uns.

Vers 15h, le soleil tape fort sur la petite bourgade de Rongero en commune de Rutana. Quelques maisons longent la route goudronnée qu’on a empruntée en quittant le chef-lieu de la commune qui se trouve à peine à 3 km. Pendant que les montagnes, de loin, nous fixent de leurs yeux, une petite sensation de chaleur accompagnée d’un vent doux et froid, vient nous caresser le visage. Comme pour nous rappeler que nous sommes dans le Kumoso.

Pendant qu’on savoure ce cadre, un rejeton d’à peine 10 ans s’approche de nous. Il porte le maillot du FC Bayern Munich. On échange : « Peux-tu nommer quelques joueurs du Bayern ? Si t’es un vrai supporter de cette équipe ? ». On le met au défi. Avec une aisance facile, il nous lance dans la figure quatre noms des Bavarois. Aussitôt, l’échange avec le petit footeux fini, 

une jeune fille s’approche de nous. De taille moyenne, elle porte des lunettes, un t-shirt jaune et une jupe qui lui arrive aux pieds. Avec une voix douce, elle nous accueille : « C’est moi B.I. Je suis membre d’umugwi ». Umugwi (groupe en kirundi) est le nom que certains donnent à leur groupement financier communautaire. B.I, 23 ans, nous demande de la suivre. Elle nous fait une présentation sur son mugwi avec quelques autres membres.

Des jeunes, résilients certes, mais dans la peur

« Nous sommes au courant de la mesure qui a été prise par la BRB. Mais je la trouve difficilement applicable. Nous sommes un petit groupe composé de jeunes. Déjà que l’inscription exige un certain montant et qu’on n’a pas beaucoup de moyens », nous confie, M.B, un jeune homme de 22 ans, membre du même groupement que B.I. Ce jeune homme qui s’est déjà procuré un porcelet grâce au groupement financier communautaire ajoute : « Si la BRB décide d’arrêter, peut-être, le fonctionnement des groupes non encore inscrits, ça serait comme un glaive qu’on nous enfonce dans le cœur, car grâce au mugwi, nous parvenons à survivre un peu plus ».

A Rutana comme à Ruyigi, les jeunes tentent de subvenir à leurs besoins grâce aux groupements financiers communautaires. Sur la colline Rutegama de la zone Bwagiriza en commune Butezi de la province Ruyigi, D.I avec ses 23 printemps, y vit paisiblement avec sa dulcinée. « Je me suis marié, il y a une année, et une partie des fonds qui ont financé les cérémonies a été le fruit des contributions d’umugwi », avoue le jeune marié. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, je possède un porcelet, et un lopin de terre que je cultive qui m’aide à joindre les deux bouts ». D.I nous confirme par contre qu’il n’était pas au courant de la mesure de la BRB. A plus de 50 km du chef-lieu de la province Ruyigi, dans la colline Rutegama les nouvelles arrivent tardivement. « De Rutegama à Ruyigi, c’est 20 000 BIF de ticket, l’aller-retour », confie D.I. Et il renchérit: « Si on est obligé de nous inscrire, nous serions incapables de le faire. On n’a pas réellement les moyens ».

Les groupements financiers communautaires sont éparpillés, ainsi, partout à travers le pays. De ceux composés par des jeunes à ceux composés par des plus âgées, le discours reste le même.

« Grâce à eux, nous (sur) vivons »  

En commune Giheta de la province Gitega sur la colline Kibimba, nous avons un rendez-vous. Trois femmes nous attendent au bord de la route. La douce N.J semble résister au temps qui passe. Elle a 70 ans et dirige un des groupements financiers communautaires. Elle installe de petites chaises dehors pour nous. Deux autres femmes nous rejoignent. N.P, 57 ans est veuve, tout comme B.M, 56 ans. Malgré le ronronnement des voitures qui passent, nous parvenons à échanger avec aisance. 

« Les GFC, c’est grâce à eux que j’ai pu envoyer mes enfants à l’école. Je suis un membre actif dans quatre d’entre eux. Et cela, depuis une dizaine d’années », partage N.J, la plus âgée d’entre elles. Pour cette femme à l’âge avancée, « il faut que les GFC soient inscrits mais, que cela ne coute pas une fortune ». Un point qu’elle partage avec B.M. Cette dernière va loin jusqu’à demander que « l’Etat n’oublie pas l’importance de tels groupements surtout pour les femmes ». Et N.P d’ajouter : « Nous demandons à l’Etat de faciliter le fonctionnement et, plus encore, d’accompagner les GFC. C’est grâce à eux que nous survivons ».

Le 14 juillet 2022, la Banque de la République du Burundi (BRB) a rappelé que « l’ouverture des agences et guichets, l’ouverture des comptes, la collecte des dépôts publics, la domiciliation des salaires et l’octroi des crédits au public ne sont pas autorisés aux GFC ». Une recommandation qui ne touche pas directement les petits GFC des collines comme ceux de Rongero, Rutegama et Kibimba, mais jusqu’à quand ?

A Ruyigi, Anastasie, une femme âgée de 63 ans et mère de 7 enfants est d’un GFC depuis 2021. A la question de savoir si elle a un compte bancaire quelque part. Anastasie s’exclame : « Kibondo urantangaje! (Mon fils, tu m’étonnes! Ndlr) Si tu me regardes, tu estimes que j’ai de l’argent à déposer dans les banques ? ». Elle explique que la tontine est sa meilleure banque : « Avec une cotisation de 2500 BIF dans deux semaines, j’ai droit aux petits prêts qui m’aident surtout à couvrir le matériel scolaire pour mes enfants, acheter de l’engrais chimique etc. Aussi, j’ai 3 chèvres grâce à cette association. Les tontines nous apportent mille avantages. »

Igirukwishaka Dismas âgé de 23 ans, membre de l’association d’épargne « Umunyinya » indique qu’il a acheté un porcelet de 50.000 BIF grâce à  un groupement d’épargne et de crédit. Il affirme qu’avec le groupement, il n’a plus de difficultés à accéder à un prêt selon ses moyens.

Les « tontiniers » en chute libre

Le paradoxe est que certains membres des tontines rurales, y compris Anastasie de Ruyigi, ne sont pas au courant du communiqué de la BRB envers leurs groupements. 

En apprenant cette mesure, Anastasie sombre dans une colère noire : « Une fois nos tontines fermées, je ne vois pas comment on s’en sortira dans notre vie quotidienne. Faire recours aux banques, c’est pratiquement impossible pour moi. Imaginez, les banques se trouvent au chef-lieu de la province. Nous payons 20 mille pour l’aller-retour. Dès lors, comment je paierai ce ticket pour aller déposer mes 2500 BIF comme je le fais dans l’association ? »

Une autre femme rencontrée à Ruyigi se plaint que cette mesure lui pèse lourd, car accéder aux prêts des banques est un casse-tête à cause des hypothèques exigées qui sont difficiles à trouver, au moment où dans leurs GFC, les membres s’avalisent entre eux et aussi, il est possible de demander un petit prêt selon les capitaux dont on dispose. 

Enfin, certains ont soulevé l’inquiétude que si demain les GFC disparaissent, qu’adviendra-t-il des capitaux des membres ? Est-ce que ceux qui détiennent les prêts ne vont-ils pas disparaître également sans rembourser ?

 

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