À l’approche des élections de 2025 et 2027, le Burundi, longtemps enserré dans les griffes de divisions ethniques récurrentes, voit poindre une lueur d’espoir malgré un contexte régional complexe. Ces tensions, qui ressurgissent comme une fatalité tous les dix ans, ont marqué au fer rouge l’histoire récente du pays. Pourtant, un vent de changement souffle aujourd’hui, porté par les Générations Z et Alpha. Ces jeunes, nés dans un monde hyperconnecté, pourraient bien briser les chaînes du passé et redessiner l’avenir d’une nation en quête de renouveau.
Par un après-midi baigné de soleil, je descends la colline après la bifurcation de la paroisse Buhonga. Une procession d’élèves, riant et bavardant sur le chemin du retour, attire mon regard.
Mais c’est l’éclat hypnotique du lac Tanganyika, scintillant à cette heure douce, qui capture mon regard. Réconforté par cette lumière dansante, je me laisse happer, presque envoûté, par sa beauté tranquille. Hélas, l’esprit d’un millennial ne reste jamais tranquille longtemps ; déjà, mes pensées s’emballent, oscillant entre héritage mémoriel et questionnements modernes. Ces enfants ont-ils eu « The Talk » à la burundaise, cette conversation crue et sans détour – bizarrement la seule dont ils n’ont pas l’embarras d’aborder – sur leur identité ethnique et ses ombres ? Leurs aînés (parents, tantes, oncles, grands frères, grandes sœurs) leur ont-ils transmis, comme à nous, enfants des crises passées, ce lourd héritage ? Un soubresaut brusque me tire de ma torpeur – les cahots de Bujumbura secouent la voiture et me ramènent à la réalité.
Une unité singulière
Les Générations Z (nées entre 1997 et 2012) et Alpha (nées à partir de 2013) grandissent dans une ère où l’information circule à la vitesse de la lumière. La technologie redéfinit leurs mentalités, tisse des ponts par-delà les frontières géographiques et culturelles, et les arrache aux silos communautaires qui ont confiné leurs aînés. Leur réalité n’est plus seulement locale : elle s’étend à un village planétaire, connecté par les réseaux sociaux, les plateformes éducatives et les initiatives jeunesse axées sur les enjeux globaux, comme les Objectifs de développement durable (ODD).
Cette ouverture au monde leur offre une perspective inédite. Ils revisitent l’histoire du Burundi avec un regard neuf, osant questionner des tabous autrefois intouchables. Là où leurs parents et aînés recevaient une mémoire imposée, eux engagent un dialogue intergénérationnel, cherchant à donner un sens à leur identité culturelle et historique sans s’y laisser enfermés.
Leurs héros / idoles sont des influenceurs, artistes ou entrepreneurs qu’ils admirent ensemble, qu’ils soient Hutu, Tutsi ou Twa. L’ethnie, ce prisme qui a si longtemps divisé, s’efface devant des références communes. Leurs passions – musique, danse, jeux – ignorent les barrières. Leurs goûts, façonnés par une culture globale et une identité burundaise en mutation, convergent vers une modernité partagée. Même leurs aspirations – paix, prospérité, avenir meilleur – s’alignent, nourries par un accès inédit à l’information.
Et puis, il y a ces moments qui révèlent, mieux que tout, cette complicité grandissante. Pour les moins privilégiés, ce sont ces salles de fortune – anciens cinémas aux murs fissurés, devenus des sanctuaires de passion – où des matchs de foot enfièvrent les jeunes foules. Du Real au Barça, chaque dribble, chaque but fait vibrer les ruelles tranquilles, transformées en scènes de liesse bruyante, un joyeux brouhaha nocturne. Pour les plus évolués, ce sont les bars animés où l’on se retrouve, verre en main, à scander les exploits sportifs devant un écran vacillant.
D’autres fois, c’est en ligne que ça se passe : sur TikTok, des jeunes de tous horizons se lancent des challenges, dansant sur des mélodies burundaises fusionnant avec des rythmes d’ailleurs. Ce qui n’était hier qu’une distraction futile, raillée par les aînés, tisse aujourd’hui un fil discret mais tenace, raccommodant peu à peu le tissu national effiloché.
Dépasser le passé
Dans une société burundaise où le malheur – massacres, guerres civiles, exodes – s’est transmis comme un héritage presque sacré, les nouvelles générations se démarquent par une approche inédite. La vertu traditionnelle d’Urupfasoni, ce respect quasi révérenciel des paroles des aînés, semble glisser sur ces digital natives, qui préfèrent questionner plutôt que se plier. « À l’école, on débat de l’histoire du Burundi, mais au lieu de créer un sentiment de méfiance, ça nous rapproche, ça nous aide à nous comprendre », confie Almeida*, une lycéenne de Bujumbura.
Des initiatives communautaires novatrices, comme la sociothérapie, ouvrent aussi des espaces précieux. Là, on partage, on panse les plaies ensemble. Jean-Pierre*, 22 ans, étudiant en psychologie clinique à l’Université Lumière de Bujumbura, y voit un levier d’avenir s’opposant au Nikozubakwa : « Ces programmes nous poussent à voir plus loin que les étiquettes ethniques, à bâtir un futur commun. »
Hyperconnectés, ces jeunes partagent bien plus qu’ils ne l’imaginent. « On veut construire notre avenir ensemble, pas ruminer les vieilles rancunes », lance Charlize*, 18 ans, avec une assurance qui défie son âge. Jean-Pau*l, 22 ans, abonde, la voix posée : « Nos parents ont traversé des moments très difficiles, mais on refuse de porter leurs blessures comme un fardeau. »
Briser le cycle pour de meilleurs horizons
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les Générations Z et Alpha forment une part majeure de la population burundaise, un vivier de potentiel pour transformer le pays. Si le Burundi veut concrétiser son rêve d’émergence économique d’ici 2040, il ne pourra pas avoir besoin de leur énergie. Oui, la mémoire des traumatismes reste cruciale pour ne pas reproduire les erreurs d’hier, mais cette dynamique d’unité, ce désir de couper les cordes du passé porté par les jeunes, doit être soutenu, affiné et nourri par les aînés. Ces nouvelles générations offrent une opportunité rare : faire du fardeau une force, de la résilience un élan plutôt qu’un règlement de comptes. En s’unissant autour de leurs aspirations communes – stabilité, prospérité, paix durable –, ils tracent une voie nouvelle.
Avec leur poids démographique croissant, ces jeunes générations auront, pas plus loin que 2027, la capacité d’infléchir le débat public. En balayant les réflexes ethniques d’un revers de main et en réclamant des leaders une vision partagée, ils redessinent l’horizon des possibles. Leurs voix, portées par les réseaux numériques, résonnent comme un grondement collectif, un appel vibrant à un Burundi réinventé.