En dehors du fait que les malades mentaux deviennent des « oubliés » de la société qui les abandonne, les stigmatise et parfois les humilie, leurs enfants vivent un véritable chemin de croix. Pire, ils assistent impuissants à la lente et inexorable descente aux enfers de leur parents. Un blogueur est allé à la rencontre de certains d’entre eux. Dans un récit poignant, il nous raconte leur calvaire. Aux âmes trop sensibles, prière de vous abstenir.
« Voir ma mère nue errer à travers les rues, c’est terrible. C’est extrêmement pénible de vivre une situation pareille », raconte difficilement Fafa Digne, une femme de 35 ans habitant Bujumbura, dont la mère a souffert d’une maladie mentale pendant environ 10 ans. « C’était un fardeau difficile à porter », lâche-t-elle la tête baissée.
Dévastée par l’émotion, elle trouve très difficilement les mots pour s’exprimer. « Mes deux frères et moi avons été abandonnés par l’entourage. Personne ne nous a expliqué de quoi notre mère souffrait. Personne ne l’a protégée. Elle a été battue dans la rue. Souvent, elle a été enchainée aux arbres », confie la jeune femme au bord des larmes.
Terrible de voir sa maman déambuler toute nue dans le quartier
« Des fois, enchaine-t-elle, je pensais que la société burundaise considérait un malade mental comme un criminel. C’était extrêmement traumatisant et révoltant de voir comment ma mère était traitée ».
Sa mère est tombée malade quand Digne, l’aînée, avait 15 ans. Ses deux petits frères étaient respectivement âgés de 13 ans et 11 ans. C’est quand leur mère a attrapé la maladie mentale qu’ils ont commencé à souffrir. Leur amertume a atteint son apogée quand les enfants voyaient leur maman se faire agresser dans la rue. Elle pouvait rester allongée au bord de la route durant de longues heures, ou déambulait souvent nue au quartier, s’arrêtant au niveau des amoncellements d’immondices. Sous le regard impassible des passants, elle se faisait insulter dans l’indifférence la plus totale.
Des individus « sains d’esprit » s’amusaient à la provoquer pour voir son comportement violent. Quand elle réagissait, c’était pour se faire agresser par ses provocateurs. Pour d’autres personnes, le délire de leur mère était un sujet de divertissement, un vrai spectacle qu’ils passaient des heures à se raconter. « On dit souvent qu’il vaut mieux voir un proche mort que le voir ‟fou”. Ce n’est pas le cas pour moi. J’aurais préféré qu’elle soit vivante », chuchote Digne, peinée. Malheureusement, leur mère mourra plus tard mais dans des conditions déplorables.
La stigmatisation au quotidien
Selon Digne, dès qu’on a un parent atteint d’une maladie mentale « on ne vit plus ».Orpheline, cette femme a dû tout sacrifier pour s’occuper de sa mère. Que c’était épuisant de courir dernière elle, se rappelle-t-elle, sans oublier que ça coûtait beaucoup d’argent. « J’ai dû consacrer le peu d’économies qu’on avait à l’éducation de mes frères », raconte, cette aînée de la famille.
Elle se rappelle toujours comment à l’école elle ses frères étaient stigmatisés. On leur avait collé un nom spécifique : « Les enfants de la folle toute nue ». C’était très embarrassant de voir ma mère venir me voir à l’école toute nue. Mes camarades, tous des adolescents, se mettaient sur les fenêtres ».
Quant à Lucien, le cadet de la famille, la maladie de leur mère l’a profondément bouleversé : « Moi, je savais qu’elle était malade, mais je ne savais pas ce qu’elle avait. On n’avait eu aucune information. Aucune ! Tout le monde a laissé tomber ma mère. Personne ne l’a amenée à l’hôpital ».
La maladie a inexorablement détruit leur mère. Les enfants voyaient, impuissants, la santé leur maman se dégrader.
Y aura-t-il un jour une prise en charge des enfants des malades mentaux ?
A cause de l’anxiété, les enfants ne pouvaient pas se concentrer sur les études. L’environnement familial était insupportable. Ils étaient constamment angoissés. « Nous nous repliions sur nous-mêmes. La solitude et le silence étaient notre lot quotidien », raconte Lucien.
D’après Digne, plusieurs enfants des malades mentaux sont délaissés. Ils n’ont aucun accompagnement social alors qu’ils en ont vraiment besoin. La plupart de ces enfants sont stigmatisés par la société. « Ce sont des oubliés des oubliés », lâche-t-elle.
Difficile d’avoir une idée du nombre de personnes affectées par les maladies mentales au Burundi. Il paraît qu’ils sont rares ceux qui se rendent dans les centres de prise en charge psychologique ou psychiatrique. Ce qui laisse penser qu’il est urgent de définir une politique nationale claire et précise de prise en charge des malades mentaux et de leurs enfants.