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Les élections au Burundi : un jeu de dupes ?

Les dés sont jetés, le parti de l’Aigle a presque tout raflé lors du double scrutin législatif et communal. Face à des scores staliniens (respectivement 100% et 98%), des voix s’élèvent pour dénoncer les irrégularités qui ont émaillé ces élections. Certains sont même allés jusqu’à dire qu’y participer était une perte de temps. Mauvais perdants ? Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur a jeté un pavé dans la mare : « Toute personne qui s’oppose aux résultats des élections peut être sanctionnée conformément à la loi. » Comment s’y retrouver dans tout cela ? Les intervenants se posent-ils les bonnes questions ? Ce blogueur réfléchit à haute voix.

Le Burundi est-il malade des élections ? Les dernières législatives et communales ont ravivé la contestation, non seulement des résultats, mais aussi de la préparation et du déroulement du scrutin. Comme un air de déjà-vu : les Burundais, effarés, assistent à cette énième passe d’armes entre pouvoir et opposition. Les tensions montent, les journalistes s’en délectent, l’arène politique surchauffe. Et dans tout ce brouhaha, le ministre de l’Intérieur a récemment sorti la grosse artillerie. Ceux qui contestent les résultats électoraux de manière intempestive seront accusés d’atteinte à la sécurité intérieure et pourraient tomber sous le coup de la loi.

Le président de la République, lui, s’est exprimé devant les médias pour critiquer les contestataires qui ont préféré s’épancher au micro plutôt que de s’adresser à la CENI – cette même commission qu’ils accusent de ne pas avoir été impartiale – ou aux autres institutions compétentes. Ce samedi 14 juin 2025, lors d’une conférence de presse tenue au palais présidentiel, le numéro un burundais a été on ne peut plus clair : « Ceux qui dénoncent des irrégularités auraient dû le faire pendant le déroulement du double scrutin, et non après sa clôture. » A-t-il tort ou raison ? Là n’est plus la question, selon moi.

La démocratie à la sauce burundaise : un cheval de bois ?

Le Président en a profité pour glisser une pique bien sentie aux contestataires : « Ubuze abo ushira kuri liste muri komine woronka abagutora gute ? » (Si tu ne parviens pas à avoir des candidats à inscrire sur la liste des communales, comment veux-tu être élu ?)

Mais ne nous perdons pas en conjectures. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le président Évariste Ndayishimiye reste droit dans ses bottes et ne cède pas face à la grogne de certains opposants. « Démocratie ntibisigura impunité (…) Kuvugira kw’iradiyo si sentare », a-t-il rétorqué à ceux qui font du tapage médiatique pour dénoncer les irrégularités.

Concernant le récent communiqué du Conseil des évêques de l’Église catholique qui, tout en saluant le calme et la sécurité ayant caractérisé les élections du 5 juin, ont tout de même relevé des irrégularités, le Président a été clair : « il faut examiner la situation, bureau de vote par bureau de vote, commune par commune, province par province, preuves à l’appui. Il ne faut pas généraliser », a-t-il insisté.

Et il n’a pas manqué l’occasion de glisser une autre pique à l’Église catholique : « Muri ekleziya catorika hariho démocratie ? Papa yatowe ku majwi angahe ? » (Y a-t-il de la démocratie dans l’Église catholique ? Avec combien de voix le Pape a-t-il été élu ?). Quant à ceux qui s’inquiètent de voir l’Assemblée nationale devenir monocolore, le Président a rappelé que le CNDD-FDD disposait déjà d’une majorité écrasante des trois quarts, suffisante pour faire passer les lois.

Les élections, un jeu de poker menteur ?

L’opposition, moribonde ou laminée, semble avoir la mémoire courte. Prenons le cas du CNL, dont le leader vient de publier un communiqué fustigeant les résultats du double scrutin. Pourtant, lorsqu’il profitait du chaos artificiellement orchestré pour écarter Agathon Rwasa, Nestor Girukwishaka ne faisait pas tant de manières. À quoi pouvait-il s’attendre après avoir évincé, sans tambour ni trompette, le leader historique – et, osons le dire, charismatique – de cette formation politique ? Qui sème le vent récolte la tempête, dit-on.

Quant à l’autre (faux) challenger, l’Uprona, n’en parlons même pas. Il a usé de toutes les stratégies pour rester proche de la « marmite ». À Gitega, un journaliste a posé la question de la survie politique de ceux qui ont obtenu « ubwo gucumbisha kumwe » (un score plus que minuscule). Le parti de Rwagasore pourra-t-il conserver la vice-présidence ? Un collègue a suggéré que les Abadasigana qui convoitent ce poste juteux commencent déjà par se faire élire aux élections collinaires.

Le vieux parti de Rwagasore n’a pas su se réinventer. Il n’a même pas réussi à rassembler ses innombrables ailes dissidentes, minées par des querelles de leadership et des miettes de pouvoir. Et voilà qu’Olivier Nkurunziza, son président, vient étaler son spleen en place publique. « Une perte de temps », a-t-il déclaré à propos de sa participation à ces élections. Mais il fallait y penser avant ! Il fallait monter au créneau quand le parti au pouvoir se taillait une loi électorale sur mesure.

L’Uprona, osons le dire, a longtemps profité des largesses du parti de l’Aigle, désireux de donner à sa gouvernance les apparences d’un régime démocratique. Maintenant que l’Aigle tient toutes les cartes dans ses serres, les rouge et blanc ne sont-ils pas devenus une vieille chaussette bonne à jeter ?

Le sort de l’Uprona « new age » et du CNL version Nestor Girukwishaka devrait faire réfléchir les opposants politiques – ou ceux qui prétendent l’être. À trop vouloir voler près du soleil, on se brûle les ailes. Les crocs-en-jambe qui ont jalonné la vie de ces partis ont sans doute écœuré et éloigné leurs militants. Quand on voit certains politiciens de pacotille verser des larmes de crocodile à la radio, on a envie de leur balancer ce vieux slogan du Frodebu : « Twarabahinyuye» (Nous vous avons démasqués). N’en parlons plus, et la vie continue.

 

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