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Carnet de voyage : « J’ai failli me fâcher avec les dieux de Mugera »

Si la France a Lourdes, le Burundi a Mugera. Un blogueur y a effectué un pèlerinage. Chaque année, des milliers et des milliers d’ouailles en provenance de différents coins du pays convergent vers ce lieu, qui fut un vrai pivot entre l’histoire de la royauté et la spiritualité traditionnelle, mais qui est devenu, par la force des choses, ce que les catholiques appellent un sanctuaire marial. Il faut les voir, tout ébouriffés et extenués, marcher depuis Ngozi, Ruyigi ou tout autre coin reculé du pays, pour un long pèlerinage, souvent à pied.

Nous sommes le 15 août 2025. Pour ne pas louper la procession géante des ouailles, j’ai passé la journée à Bugendana, à quelques 15 ou 20 km de Mugera. C’est vrai qu’il faut prendre des précautions pour voyager ces derniers jours. Un ami d’un ami a réservé une chambre pour moi. Quand j’atterris à Bugendana à 18 h, je n’ai plus qu’à profiter des petites brochettes et des V.W que Bugendana sait si bien mariner. Je dors à une heure raisonnable pour ne pas rater les pèlerins de l’Assomption, qui partent de bonne heure, d’après ce qu’on m’a expliqué. Le matin, j’ai la chance de voyager dans un véhicule plein de pèlerins.

Un pèlerinage et une endurance

Sur toute la route, des enfants, des jeunes et des moins jeunes, des femmes et des hommes. Il faut le voir pour le croire. Dans le véhicule, quelqu’un dit : « Il y en a qui sont là-bas depuis mardi » (nous sommes vendredi, rappelez-vous). Sur quoi une autre renchérit : « Il paraît qu’il y a même des musulmans qui vont à Mugera le jour de l’Assomption ». Une autre ajoute : « Maintenant que le Vatican va nous construire une basilique, il faudra penser à goudronner cette route qui y mène ». Nous continuons à rouler. Nous traversons Kirimbi puis bifurquons à gauche sur une route en terre battue. Une autre dame, apparemment très pieuse, prend la parole : « Ce serait bien d’y aller à pied. Ceux qui vont à Mugera à pied reçoivent beaucoup de récompenses spirituelles. » Je me fais tout petit, moi qui crois moyennement aux récompenses spirituelles. Je m’imagine en train de parcourir 50, voire 100 km pour récolter des bénédictions venues de l’au-delà.

Au fur et à mesure que le véhicule avance, la foule devient de plus en plus dense, ce qui oblige le chauffeur à actionner le klaxon presque sans interruption pour se frayer un chemin. Beaucoup d’entre eux transportent des cannes à sucre ou des bidons d’eau pour se désaltérer. D’autres portent des baluchons sur la tête, tandis que certaines femmes portent sur le dos des enfants en bas âge.

Je découvre un aspect de l’homme que je n’avais jamais remarqué auparavant : une croyance inébranlable, une dévotion, un dévouement à toute épreuve. À un ou deux kilomètres de Mugera, il devient impossible d’avancer, tellement la foule est compacte. Les agents de police nous font signe de descendre du véhicule, et c’est là que commence mon calvaire.

Mugera est juché sur une colline abrupte dont la pente mesure peut-être 30 %. Les agents nous disent qu’il faudra grimper, à travers les eucalyptus, sur la colline pour atteindre le sanctuaire. Je les regarde, imaginant qu’ils plaisantent, mais non ! On a dû se coltiner la crête.

Au milieu, mes poumons étaient presque en feu. Je reprends mon souffle et je continue de grimper. Plus loin, ce sont mes mollets, tout endoloris, qui n’en pouvaient plus. Encore une pause ! Un enfant d’une dizaine d’années, ‘’venu des cieux’’, je ne sais pas, passe avec un bidon d’eau qu’il me propose gentiment pour boire. Dans mon imprudence, je n’avais même pas acheté une bouteille d’eau. Je reprends des forces et j’atteins enfin le sanctuaire marial.

Le Burundi en odeur de sainteté avec le Vatican

Malgré ce petit effort physique, tout s’est bien passé. J’ai seulement été remonté contre les dieux du lieu, qui venaient de m’infliger ce petit calvaire pour mon premier pèlerinage. Peut-être voulaient-ils tester mon endurance. Quelques minutes plus tard, le président de la République est arrivé. Dans son mot de circonstance, il a remercié le Saint-Siège d’avoir gratifié le pays d’une basilique. Mais il a pris soin de demander qu’un cardinal burundais soit créé pour s’en occuper.

Pour les jeunes, le pape Jean-Paul II avait visité le Burundi en 1990. Avant cela, l’Église catholique entretenait des relations très tumultueuses sous le régime du président Bagaza. Lui n’hésitait pas à fermer les églises et à embastiller les prêtres. Avec la visite du secrétaire général de Sa Sainteté et le projet de construction de la basilique, un espoir de normalisation avec les Occidentaux est-il en train de naître ? Ce n’est pas un hasard si une personnalité de haut rang de l’Église a commencé sa visite à l’endroit où le nonce apostolique au Burundi a été tué.

Doit-on prendre cette initiative, que les autorités burundaises n’ont pas contestée, comme une volonté de nouveau départ ? Les échanges de cordialités entre le président Évariste Ndayishimiye et le secrétaire de Sa Sainteté laissent penser que les nuages se dissipent. Quand on connaît la force de frappe diplomatique du Vatican (même si elle s’est érodée ces dernières années), on ne peut qu’espérer que ces avancées produisent vite des résultats palpables.

Il y a un aspect que je n’ai pas abordé dans ce papier : comment Mugera, qui fut un haut lieu de la royauté burundaise et de la spiritualité traditionnelle, « mu mana za Mugera » d’antan, est devenu un sanctuaire marial, désormais Basilique mineure et propriété commune de l’Eglise et de l’Etat du Burundi ? Nous y reviendrons bientôt.

 

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Les commentaires récents (1)

  1. Ce phénomène des sanctuaires et pélerinages catholiques s’est surtout développé en Europe du sud(plus pauvre que le Nord ) il y a un peu plus d’un siècle.(Fatima, Lourdes). Le sanctuaire de Mugera a été surnommé ‘Lourdes’ au départ. On disait que la Vierge Marie y était apparue (au début des années soixante?). Ce mouvement est quasi absent d’Europe du Nord et n’est pas toujours bien vu par l’Eglise Catholique qui y voit un culte de la Sainte Vierge ou mariolatrie. Certains diocèses ont interdit le mouvement marial. Je vis dans un archidiocèse qui l’a interdit il y une trentaine d’années.( Un groupe rebelle dirigé par une religieuse a continué a le pratiquer sans l’accord de l’Archevêque). Mugera n’est pas le seul exemple d’un endroit sacré pour une religion et qui est récupéré par une autre plus nouvelle et plus puissante(cf l’Eglise Sainte Sophie d’Istambul transformée en Mosquée puis en musée). Des Églises sont transformées maintenant en bars(nouvelle religion), bibliothèques ou piscines.