Les réactions diverses et variées de la communauté et de la diaspora burundaises à la publication du livre Ma vérité sur l’assassinat de Melchior Ndadaye de Joseph Rugigana m’ont personnellement interpellé, notamment en ce qui concerne la recherche et la construction personnelle d’une lecture des faits historiques et sociétaux du Burundi, plutôt que de se contenter de ceux transmis par son entourage et sa famille.
L’Africain est souvent perçu à travers le prisme de son histoire, marquée profondément par la tradition orale. Dans de nombreuses sociétés africaines, les aînés jouent un rôle fondamental en tant que gardiens de la mémoire collective. Ils transmettent les faits historiques et les récits culturels de génération en génération. Plutôt que de privilégier l’écriture de leurs vécus, ces conteurs se consacrent à la transmission orale de leurs savoirs, s’appuyant uniquement sur leur mémoire.
Cette pratique, loin d’être une simple alternative à l’écrit, garantit-elle l’exactitude ou l’objectivité de la narration des faits historiques ? D’autant plus que l’individu qui raconte ces faits est une composante sociale dont les actions et le vécu déterminent sa compréhension de la société dans laquelle il évolue (dixit, plus ou moins, Max Weber).
Cette prérogative, que la société burundaise dans sa diversité accorde presque toujours à un groupe particulier est souvent la raison de l’étiquette apposée à une lecture des événements sociétaux sous une lentille régionale, ethnique ou d’une autre appartenance identitaire. N’est-ce pas un frein pour une lecture plus personnelle, permettant à chaque Burundais d’accéder à une vérité émanant d’une confrontation de plusieurs sources et récits ?
Un défi pour la jeunesse burundaise
Que ce soit à des fins de recherche ou récréatives, le Burundais semble souvent coller au stéréotype du lecteur paresseux. Il suffit de regarder autour de soi, dans son cercle d’amis et sa famille, pour dénombrer sur les doigts d’une main ceux qui possèdent une petite bibliothèque personnelle, un abonnement à une bibliothèque, ou qui peuvent citer une dizaine de livres qu’ils ont lus récemment.
Si ceux nés en 2000 ont du mal à comprendre la genèse ou les enjeux des eaux troubles de 2015, il ne faut pas s’étonner que l’aftermath sanglant des élections de 1993 ne fasse pas partie de leurs préoccupations. Des noms comme Ngendandumwe, Kinigi et autres ne font qu’ajouter l’incompréhension à la complexité d’un passé que cette nouvelle génération préfère ignorer ou confier à d’autres pour qu’on le leur raconte.
Si le fameux slogan de la génération Y, « Tuons nos pères spirituels », reste valable dans l’espoir d’un avenir radieux pour le Burundi, il serait cependant essentiel que les jeunes générations se familiarisent elles-mêmes avec l’histoire du pays à travers une série d’œuvres qui se contredisent ou s’enrichissent mutuellement.
Un livre, mille avis
La sortie de Ma vérité sur l’assassinat de Melchior Ndadaye de Joseph Rugigana a suscité un engouement immédiat dont les réseaux sociaux se sont fait écho. Même ceux qui sont presque certains de ne jamais lire le livre ont un avis tranché sur ce qu’il devrait contenir. Ils révèlent ainsi les attentes, mais aussi les préjugés, d’une société profondément marquée par des fractures identitaires et des difficultés pour certains à envisager une réalité qui pourrait remettre en question leurs certitudes sur tout ce qui a affecté la société burundaise.
Bien entendu, je ne fais ni la promotion ni l’apologie de ce livre. Étant moi-même d’obédience sceptique vis-à-vis de l’esprit critique de ceux qui séparent l’œuvre et l’auteur, je défends néanmoins la recherche de la vérité à travers une confrontation des réalités individuelles. Selon moi, cette quête ne peut être atteinte que par un choc d’idées et une recherche d’équilibre dans les récits historiques.
L’Almanach
Dans ce billet, je me permets de proposer une petite liste, loin d’être exhaustive (vous êtes invités à la compléter en commentaires) d’une série d’œuvres littéraires qui, selon moi, peuvent offrir une base de connaissances à portée de clic ou de main, à toute personne désireuse de mieux comprendre le Burundi contemporain.
La plupart des ouvrages mentionnés sont disponibles dans les bibliothèques et centres de recherche au Burundi.
Ouvrages académiques :
Histoire du Burundi, des origines à la fin du XIXe siècle d’Emile Mworoha
Le Burundi sous administration belge : la période du mandat 1919-1939 de Joseph Gahama
Les ethnies du Burundi : une réalité de Joseph Ntamahungiro
Histoire rurale de l’Afrique des Grands Lacs. Guide de recherches de Chrétien J. Pierre (1983)
Le Burundi contemporain : l’État-nation en question (1956-2002) d’Augustin Nsanze
La crise ethnique. Genèse et contexte géopolitique de Augustin Mariro (2005)
Burundi 1965 : La mémoire blessée d’Antoine Kaburahe
La Grande Guerre africaine : Instabilité, violence et déclin de l’État en Afrique centrale (1996-2006) de Jean Baptiste Ntahokaja (1978)
Imigenzo y’Ikirundi de Jean Baptiste Ntahokaja
Burundi 1972 : Les massacres des Tutsi. Souvenirs et témoignages de Novât Nintunze (2019)
Historiographie et enjeux de mémoires au Burundi de Aude Laroque (2013)
Le thé au Burundi des années 1950 à 2018 d’Éric Ndayisaba (2019)
L’Afrique des Grands Lacs en crise. Rwanda, Burundi, 1988-1994 de Filip Reyntjens (1994)
Œuvres d’hommes politiques burundais :
Les négociations inter-burundaises. La longue marche vers la paix de Pierre Buyoya (2011)
Le conflit burundais II. La tragédie de 1972 de Laurent Kavakure (2002)
Mémoires d’un diplomate (1973-2006). Entre tourmentes et espoirs de Cyprien Mbonimpa (2016)
Burundi. Démocratie piégée. Lectures, Témoignages et Analyses de Sylvestre Ntibantunganya (2019)
Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Les premières marches du calvaire (1960-1973) d’Evariste Ngayimpenda (2004)
Romans, essais et nouvelles :
Petit pays de Gaël Faye
Un si beau diplôme ! de Scholastique Mukasonga
HUTSI, au nom de tous les sangs d’Antoine Kaburahe
La Cicatrice de Lydia Ininahazwe-Sentamo
Entre deux mondes de Michel Kayoya
Le Cdt Martin Ndayahoze, Un visionnaire de Rose Karambizi-Ndayahoze
Au pays des joies et des drames. Notre vie au Burundi de Serejski Ivar (2012)
L’homme de ma colline de Joseph Cimpaye (premier roman francophone du Burundi)
Pourquoi l’Autrui persiste-t-il à ma présence d’Oswald Ndacayisaba
Le train passera par le Burundi de Thierry Manirambona
La Guerre des nez au Burundi de Cyriaque Muhawenayo (2013)
Les Trois Burundi de Janvier Ndikumana
Liens importants :
http://catalogue.ub.edu.bi/cgi-bin/koha/opac-main.pl
https://mediatheque-ifburundi.org/index.php?lvl=index
https://www.uantwerpen.be/en/projects/centre-des-grands-lacs-afrique/
https://www.ritimo.org/Bibliographie-sur-le-Burundi
https://shs.hal.science/halshs-03032233/document
Un roman « YOBI L’ENFANT DES COLLINES » de salvator NAHIMANA mériterait d’être sur la liste. Je l’ai lu avec avidité.