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La politique culturelle, l’enfant mal aimé de la ‘’res publica’’ ?

Un message dans un groupe WhatsApp annonçant une prochaine rencontre du ministre en charge de la culture et les acteurs culturels m’a rappelé mon expérience personnelle dans ce milieu.  La culture va-t-elle rester cet endroit de déception où les artistes sortent dégoûtés ? 

Été 2017. Je suis en vacances. Loin des tumultes de l’internat, je suis à Bujumbura. Je me repose. Je lis. Je squatte les bibliothèques de Bujumbura. Je ne connais pas grand monde dans cette ville chaude comme l’enfer avec ce soleil qui vous crame le visage et brûle la tête. À certains moments, mon internat des collines de Kayanza me manque. Le Cebulac (Centre burundais de lecture et d’animation culturelle) est encore en plein centre-ville. Ouvert à tout le monde, deux à trois fois par semaine, je m’y rends. Les livres m’aident à échapper à la solitude que m’impose la ville. 

C’est en sortant de la bibliothèque pour aller me soulager que je vois dans une des salles du Cebulac, un groupe de jeunes. J’hésite à entrer. Mais finalement, mon cœur me dit: « Vas-y ». (Je ne regretterai jamais de l’avoir écouté à ce moment). Ainsi, je fais la connaissance des poètes-slameurs du groupe Yetu Slam. Ils m’accueillent. Je vois qu’ils s’échangent des poèmes. Je leur ai dit que j’en écris aussi. Je gribouille sur une feuille que l’un d’entre eux m’offre. « Tu sais quoi ? Reviens la semaine prochaine ». 

Deux ans s’écouleront. Deux ans d’apprentissage. Deux ans à affiner la plume. Deux ans à apprendre les règles de versification, ce que c’est une rime, un quatrain, un gimmick, l’assonance. A entendre ses textes traités de « nuls » ça forge un caractère. Deux ans à apprendre à devenir « artiste ». 2019, je suis propulsé à la tête de Yetu Slam. Bienvenue l’administration : rédaction des lettres administratives, campagnes sponsoring, mails professionnels, etc. On apprend.

2019 encore. Je suis devant un public, une session Slam avec le collectif Jewe Slam. Début 2020, des projets (exposition ), des concerts, etc. Et voilà la Covid-19. Changement de perspective. Je m’oriente dans un autre domaine, plus ou moins éloigné de la culture. A contrecœur.

Blâmer l’écosystème ?

Mon histoire n’est pas différente de celle de beaucoup d’autres jeunes artistes burundais. Ils sont nombreux qui arrivent à percer, mais qui se lassent. On entre dans la culture avec enthousiasme, mais on en sort avec des regrets. Combien de comédiens, de musiciens, d’humoristes, d’auteurs, d’acteurs passionnés par ce qu’ils faisaient, mais qui sont devenus aujourd’hui des banquiers, des avocats, des comptables, des journalistes, etc. ? Un artiste ne meurt jamais, mais il se fatigue. Je me rappelle, entre slameurs, après chaque séance de répétition, cette phrase qu’on se répétait :« Tôt ou tard, ça finira par payer ». Oui, ça a payé pour les plus chanceux d’entre nous, mais loin de la scène. Cette scène qu’on chérit tant. On appelle ça grandir ? Peut-être. Ou peut-être pas.

L’écosystème culturel burundais n’offre pas un cadre d’épanouissement pour les artistes, encore moins de vivre de son art. Rappelez-vous de l’éternel débat « Peut-on vivre de l’art au Burundi ? ». Je discutais il y a quelques jours avec un ami de longue date, qui a une expérience solide dans la culture, un entrepreneur culturel si vous voulez. Mon cœur a fondu quand j’ai su qu’il avait abandonné ce secteur pour se consacrer à autre chose :« La culture ça ne paye pas. Maintenant, on est devenu des commerçants », m’a-t-il dit. Triste. Fun fuct : c’est lui qui a envoyé le message disant que le ministre en charge de la culture va rencontrer les acteurs culturels ce 10 janvier 2022. Soit. Comment alors, faire en sorte que les acteurs du  secteur ne quittent pas le navire ?

Parlons solution 

Le 11 novembre 2022, à Buja Sans Tabou s’était déroulée une rencontre autour du thème « Qu’est-ce que la politique culturelle ? ». Cette rencontre a vu la participation de plusieurs intervenants, dont des artistes burundais, un membre du ministère chargé de la culture, des acteurs culturels burundais et étrangers, etc. Ces derniers ont pu faire le tour  de ce qu’est une politique culturelle et ses avantages pour les acteurs et artistes. Un débat assez animé. Le constat est que nous avons besoin d’une politique culturelle qui offre aux artistes un espace de création et d’épanouissement bien encadré.

Nous sommes dans un pays où le département de la culture est le dernier des soucis (il est en « piteux état), où les « grands » artistes poussent leurs derniers soupirs dans la misère ( repose en paix Alfred « Nkundabantu »), tandis que d’autres sont emprisonnés injustement. Des initiatives sont tuées dans l’œuf. Quand les acteurs trempent dans des scandales de fric (On se rappelle peut-être de Ngabogate), il faut se poser des questions. Le chantier reste immense.

La culture au Burundi boîte… 

…,elle ne meurt pas heureusement : car même en ce moment, il y a un jeune qui rêve de fouler la scène, un autre qui se perfectionne à la guitare, un autre qui regarde des tutos de photographes indiens sur YouTube, un autre qui réfléchit comment s’acheter des platines vinyles pour devenir bientôt un grand DJ qui enflammera Bujumbura. Bref, les artistes vont continuer à éclore. Mais comment créer une pépinière où ils grandiront ? Comment faire en sorte qu’ils ne se racontent au passé, comme moi ? Comment l’art peut-il faire vivre ? C’est la politique culturelle qui devrait répondre à ces questions.

Le ministère en charge de la culture a-t-il la volonté d’agir en conséquence? Accordons-lui le bénéfice du doute. Mais, comment est-ce qu’un ministère qui réunit les affaires de la communauté est-africaine, la jeunesse et le sport va-t-il porter un intérêt capital à la culture qui, toutes proportions gardées, semble être l’enfant pauvre ?  

Donnons du temps au temps. 

 

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Les commentaires récents (1)

  1. Je suis un artiste slameur à part que ça ne paye pas, le pire même ces soit disant ministres chargés de la culture répondent rarement présent à ces événements culturels et artistiques, même quand ils s’y rendent dans les lieux, après leurs discours on ne reste qu’à chercher leurs traces. Ça fait si mal que leurs sponsors est seulement une lettre qui approuve vos événements, la lettre c’est bon mais le sponsor matériel et financier c’est mieux