Récapitulatif et explication en mots-clés du Ngabogate, un litige qui secoue depuis quelques temps la sphère artistique burundaise et éclaire sur certaines pratiques quelque peu douteuses dans le cinéma made in Buja.
Les belligérants
D’un côté, on a deux vétérans du 7ème art : le producteur/acteur/réalisateur/chanteur et président du Festival International du Cinéma et de l’Audiovisuel du Burundi, j’ai nommé Léonce Ngabo et le scénariste/réalisateur/script doctor Alain Serge Noa.
D’un autre côté, on a cinq jeunes espoirs du cinéma burundais : Monia Bella Inakanyambo, journaliste/auteure/scénariste ; Olivier Iturere, producteur ; Richard Tuguru, acteur/réalisateur ; Hussein Butoyi, acteur/scénariste/réalisateur ; Pacifique Bukuru, journaliste/aspirant-réalisateur.
La pomme de discorde
Le litige porte sur la paternité d’un projet de série télévisée en cours de tournage et qui a été financé à hauteur de 20 000 € (plus de 60 millions FBU) par l’Organisation internationale de la francophonie.
Les racines du mal
Du 16 au 29 septembre 2015 est organisé un atelier de formation sur l’écriture d’une série télévisée. L’atelier est financé par WBI (Wallonie Bruxelles International), parrainé par le Festicab (donc Léonce Ngabo) et animé par le scénariste Alain Serge Noa.
Au terme de cet atelier, trois projets de série sont élaborés, dont un intitulé Au bout du rêve, porté par les cinq jeunes susmentionnés.
Au bout du rêve n’est donc pas un projet de cinéma comme tel, parce que le quintet a déjà écrit la bible de la série, qui est un document de travail réunissant l’ensemble des informations fondamentales concernant une série. C’est le squelette même de la série, une boussole qui permet de garder le cap sur l’histoire qu’on veut raconter.
Dans la bible d’Au bout du rêve, on retrouve le sujet, les thèmes qui vont être abordés dans la série, le concept général de la série, la présentation détaillée des personnages récurrents, la courbe dramatique (le déroulé de toute l’histoire de la série, du début à la fin) et… le synopsis des trois premiers épisodes. En tout un document de 24 pages, 5735 mots.
Donc les cinq jeunes présentent à en quelque sorte un projet de tout ce qu’il y a de plus vendable… et qui va finir par l’être, effectivement.
En avril 2017, sur la liste des projets financés par l’OIF apparaît une série portée par un certain réalisateur connu sous le nom de Léonce Ngabo et écrit par un scénariste du nom de Serge Alain Noa. La fiche du projet présente quasiment les mêmes particularités que la série imaginée et écrite par nos cinq jeunes : même titre, même histoire, même format, même personnages. Coïncidence ?
Bataille médiatique
Le 10 février 2018, on lit sur la page Facebook du site Ikiriho le début du tournage d’une série professionnelle nommée Ligala portée par Léonce Ngabo. Le 12 février sort une tribune sur le site du journal Iwacu où la jeune Monia Bella Inakanyambo dénonce une usurpation d’idée avec moult détails sur les origines de la série télévisée en cours de production et ce qui s’était discuté en coulisses, avant que Léonce Ngabo ne présente le projet sans en faire part aux auteurs. La jeune femme rappelle aussi le processus qui a amené au changement du titre.
Le 13 février apparaît la réponse de l’incriminé sous forme d’un article de presse sur le site Ikiriho. Dans celui-ci, l’artiste vétéran reconnaît que Monia Bella Inakanyambo est l’auteure de l’idée originale, mais que le projet ne lui appartient pas, du point de vue professionnel.
Un jour après, à la Saint-Valentin, une autre tribune de Monia Bella sort sur le site d’Iwacu, où elle défend sa position et démontre qu’au-delà de l’idée, c’est tout le projet de série qui est issu de leur travail. À la fin, cette dernière promet de porter plainte.
Entre temps, une analyse juridique très partagée refait le point sur la propriété intellectuelle et donne raison à Monia Bella et ses camarades. Depuis, silence radio de la part de Léonce Ngabo, mais le tournage continue selon nos informations. Et selon ces mêmes sources, deux autres séries élaborées lors de ce même atelier seraient en jeu, Nouveau Monde d’Inès Ininahazwe et Génération Y de Yannick Ndayisaba.
Leçons
Quelle que soit l’issue de cette affaire (on se doute bien que Monia Bella et ses amis ne font pas le poids face au dinosaure et membre de la Commission Vérité Réconciliation Léonce Ngabo), le cinéma burundais en sort gagnant. À l’instar de l’affaire Weinstein qui a pu libérer la parole de milliers de femmes, avec le Ngabogate, la parole des jeunes artistes floués s’est libérée, timidement peut-être, mais l’omerta a été levée sur les pratiques obscures qui gangrènent la sphère artistique burundaise. Sur Twitter, on a vu fleurir des hashtags revendicateurs comme #NanjeNaribwe, inspirés à juste titre du désormais célèbre #MeToo.
#nanjenaribwe j'invite tout jeune dont le projet à été usurpé par une personne sensée le soutenir de venir ici !bientôt je vous partage aussi mon histoire!c 'est très recent #NajeNaribwe https://t.co/IFBrWde2Wq
— pamella (@pamellamu1) February 14, 2018
Tout ce qui reste à savoir maintenant, c’est si l’affaire Ngabo prendra le même chemin que le Weinsteingate, où le monde du cinéma burundais va se désolidariser d’un homme qui traîne plusieurs casseroles, refaire peau neuve afin de mettre en confiance les jeunes créateurs, ou s’il va continuer à patauger dans la même fange, avec à la clé un festival international de cinéma sur lequel planera désormais l’ombre d’un plagiat, à cause de son président.
Comme dirait l’autre, « odeur ya imposture ». Beaucoup.
Oui,l’idée de quelqu’un peut inspirer les gens mais quoique intéressante,il y a d’autres facettes de cette idée à aborder.
Si les combats commencent à naître dans le monde des artistes burundais, cela montre que l’art est vivant au Burundi. Qu’à cela ne tienne, j’interpelle aux artistes en général, et aux jeunes artistes en particuliers, d’avoir désormais l’habitude de protéger le fruit de leurs muses par leur dépôt à l’Office Burundais des Droits d’Auteurs (OBDA). Si l’auteur et ses coauteurs d’un » Au bout d’un rêve » avaient déposé à l’OBDA le synopsis d’un « Au bout d’un rêve » et tout ce qui est exigé, on leur aurait délivré un certificat attestant qu’ il (elle) leur appartient. Et cela aurait rendu l’affaire facile devant les juridictions. Et je termine par ce conseil: S’il vous plaît, jeunes artistes, vos idées sont de l’argent, sachez les protéger en les faisant enregistrer à l’OBDA.
Entre Août et Septembre 2018, Serge Alain Noa et ses acolytes ont volé 2.000.000 F CFA au Producteur Ivoirien de la Série Télévisée YAOUNDÉ et 6.000.000 F CFA à Djibril Ibrahim, le Producteur et Acteur Canadien d’origine Tchadienne, du Long Métrage LA FLEUR DU DÉSERT.
Cela se passe aussi chez un certain incubateur I Buju