La visite de la délégation des administrateurs de la Banque mondiale n’est pas passée inaperçue. Il s’agit d’une visite cruciale alors que le pays cherche à tout prix à sortir de la crise économique. Au-delà du langage diplomatique contenu dans le communiqué final, que retenir de cette visite ? Décryptage.
Une délégation d’Administrateurs du Groupe de la Banque mondiale a effectué au début de ce mois une visite officielle au Burundi. Durant leur séjour, ils ont rencontré les décideurs politiques et d’autres parties prenantes pour échanger autour des priorités du pays et de l’appui de cette institution en matière de lutte contre l’extrême pauvreté et la promotion du développement économique. En outre, ils ont rencontré des représentants des organisations de la société civile, du secteur privé et des partenaires au développement. Ils ont discuté de leur rôle dans le programme de développement du pays, lit-on dans le communiqué final.
Toujours selon le même communiqué, la visite a été l’occasion pour les Administrateurs de voir d’eux-mêmes les efforts de développement du pays et d’évaluer le partenariat entre le gouvernement du Burundi et le Groupe de la Banque mondiale. La délégation a visité notamment le chantier du grand barrage hydroélectrique en cours de construction sur les rivières Jiji et Murembwe. Ils ont également visité l’entreprise « Fruito », sauvée in extremis grâce aux fonds de la Société Financière d’Investissement (IFC), une branche de la Banque mondiale.
Cette visite coïncide avec la validation du Cadre quinquennal de collaboration pays 2025-2030 et la mise en place de documents stratégiques, en l’occurrence la fameuse vision d’un Burundi émergent à l’horizon 2040 avant d’intégrer la famille des pays dits développés en 2060. De nombreux observateurs voient dans cette visite un message fort pour un partenariat solide et une coopération soutenue.
Une visite qui vient à point nommé
Conformément à la Déclaration de Paris qui oblige les pays bénéficiaires de l’aide publique au développement à concevoir leurs politiques de développement pour guider les partenaires donateurs, le Burundi a déjà fait un pas avec la vision 2040-2060. Le reste est de voir comment faire une gestion axée sur les résultats pour que les appuis de la Banque puissent améliorer le vécu quotidien des populations, commente Faustin Ndikumana, directeur national de l’organisation PARCEM. Ainsi, « la visite a été une bonne occasion pour le gouvernement de connaître les grandes orientations de la Banque mondiale quant à sa coopération future avec le Burundi », a-t-il réagi.
Toujours selon lui, la Banque mondiale aurait accepté de mettre à la disposition du pays des fonds y compris des appuis budgétaires directs qui visent à renflouer les caisses de l’Etat, surtout en ce moment où sévit une pénurie des devises. Certes, le pays a besoin d’assez de ressources financières pour endiguer la crise économique (inflation galopante, dette publique, dépréciation monétaire, etc) mais l’accès au financement extérieur suit un certain nombre de critères. Exceptée la capacité d’absorption qui pose toujours problème, la coopération financière avec la Banque mondiale relève d’un long processus pour valider les programmes et projets jusqu’au décaissement du moindre centime. Il y a risque d’avoir des yeux plus gros que le ventre en espérant qu’il y aura des millions de dollars qui atterriront directement à la Banque centrale dans un contexte de surendettement (plus de 6 000 milliards BIF).
Un partenaire de premier plan, mais…
Le groupe de la Banque mondiale est un partenaire de premier plan du gouvernement avec plus de 1,5 milliard USD déjà engagés dans les projets et programmes de développement socio-économique du pays.
C’est le cas de l’International Development Agency (IDA), structure pourvoyeuse des capitaux pour les pays à faibles revenus et qui soutient les efforts du pays dans des domaines divers et variés. Et pour cause. « Les financements de la banque via l’IDA ont permis de produire un impact durable sur le développement dans les secteurs de l’énergie, l’économie, l’environnement, l’éducation, la santé, le développement communautaire, les infrastructures de transport… », a déclaré le chef de l’Etat au sommet de Nairobi en avril dernier.
D’aucuns s’inquiètent de la faible capacité d’absorption des financements de la Banque mondiale. Le taux de décaissement des projets financés par la Banque mondiale est de 21% seulement pour les 1,3 milliards USD du portefeuille de la Banque mondiale destiné au gouvernement du Burundi sur la période 2019-2023. « Cette situation est le fruit de la mauvaise gestion, l’incompétence des gestionnaires, le népotisme dans le recrutement, les spéculations… » estiment certains membres de la classe politique et de la société civile.
Certains fustigent une irresponsabilité notoire de la part des coordinateurs des projets et programmes qui affichent des contre-performances. Ceci dit, une embellie de l’état du portefeuille de la Banque mondiale s’observe pour l’année fiscale 2023-2024. Cette dernière est traduite par un taux de décaissement qui est passé de 17,6% pour l’année fiscale 2022-2023 à 30,19%. Cette performance sur la capacité d’absorption résulte des efforts et des réformes initiés par le gouvernement.
Lors du sommet de Nairobi, le Chef de l’Etat a plaidé en faveur d’une augmentation du portefeuille accordé au Burundi pour accélérer le processus de transformation économique. Il a articulé sa plaidoirie autour de l’obsolescence de l’outil industriel, du manque criant de devises, du retour massif des réfugiés et des effets du changement climatique, notamment la montée spectaculaire des eaux du Lac Tanganyika, etc.
L’IDA n’est pas une organisation caritative
L’éligibilité à l’aide de l’IDA dépend avant tout de la pauvreté relative du pays, définie par un Revenu national brut (RNB) par habitant inférieur à un seuil établi et actualisé chaque année (1 315 dollars au cours de l’exercice 2024). Si le Burundi est à la tête de pelotons des pays les plus pauvres au monde, il ne figure pas dans le Top 10 de ceux qui ont le plus bénéficié des financements de la part de l’agence. Ce n’est pas une question de sympathie, d’antipathie ou de pitié ! L’accès à ce genre de financements suit un processus conventionnel.
La gouvernance économique de notre pays y est pour beaucoup. Il importe de préciser que les conditions de prêt sont déterminées en fonction du risque de surendettement du RNB par habitant et de la capacité du pays à rembourser selon une évaluation de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD).
Jouer sa partition
A l’instar des autres pays, le patron de Parcem plaide pour que le Burundi améliore ses performances et son score pour avoir accès à des fonds substantiels au lieu de petits guichets de dons. Ces fonds substantiels permettraient de réaliser des grands travaux publics comme les infrastructures de base dont le pays a tant besoin.
Quant aux dons, ils constituent l’intégralité de l’aide financière aux pays à risque de surendettement élevé et la moitié de l’aide apportée à ceux dont le risque de surendettement est moyen. D’autres destinataires reçoivent des crédits de l’IDA à des conditions soit ordinaires (« regular terms ») soit mixtes (« blend terms ») et strictes (« hard terms »). Ces prêts ont respectivement une échéance de 38 et 30 ans. Quant aux petites économies, ils reçoivent un financement de l’IDA aux conditions des petites économies avec une échéance de 40 ans.
La récente visite des administrateurs de la Banque mondiale intervient 37 ans après la dernière en son genre. Si la coopération financière internationale est indispensable pour appuyer les réformes économiques engagées, le gouvernement devrait profiter de cette main tendue pour jouer sa partition.