Cette blogueuse vous embarque dans un voyage vers une désillusion. Après des années à l’étranger, elle croyait ses compatriotes à l’abri de troubles mentaux. Ce qu’elle a découvert après une année au Burundi l’a complètement dévasté.
Cela faisait plusieurs mois que je vivais à l’étranger et que je n’arrivais pas à m’habituer à un phénomène en particulier. Plusieurs de mes connaissances prenaient régulièrement des médicaments pour traiter au moins un trouble mental. Anxiété par çi, dépression par là, les deux à la fois ou encore d’autres troubles beaucoup plus complexes dont je ne maîtrisais pas les implications. À un moment, je me suis demandé si tout le monde n’était pas malade. Je devenais de plus en plus convaincue que quelque chose clochait dans ce pays et que le Burundi, pourtant l’un des pays les plus pauvres au monde, tenait enfin un domaine où il se portait mieux que les pays développés.
La douche froide
Un jour, une amie m’a demandée pourquoi le taux de suicide était élevé dans mon pays. J’étais surprise, abasourdie, choquée. Elle attendait de moi une explication alors que je la soupçonnais de mentir. Des Burundais qui se suicident ? Comment ça ? J’ai vérifié la source et c’était le cas. Une douche froide. Ma bulle venait d’éclater.
Si vous passez plus d’une année au Burundi, loin des bureaux et voitures climatisés et des cafés où règnent l’ambiance de jazz, la réalité crève les yeux.
Nous sommes en pleine saison sèche. C’est la saison des fêtes au Burundi. Alors que nous rentrions d’une célébration d’un anniversaire, fatigués après une journée sous une chaleur accablante et décidés à faire une longue sieste pour préparer nos corps pour la semaine à venir, mon frère lâcha : « Consolate* et son mari sont là. Son fils souffre de troubles mentaux. Je n’ai pas voulu vous le dire pour ne pas casser l’ambiance. » Consolate (pseudonyme) était notre nounou, il y a de cela plusieurs années. Nous avons gardé de bonnes relations et les rares fois où elle vient à Bujumbura elle loge chez nous. Elle a cinq enfants qu’elle élève tant bien que mal dans une pauvreté inquiétante.
Cela faisait des années que son fils aîné était venu à Bujumbura pour vivre d’un petit commerce de beignets. Il a peu après commencé à montrer des symptômes de problèmes mentaux. Il criait, donnait du fil à retordre à son entourage et délirait. Rapidement, ils ont dû le ramener à son Kayanza natal. Mais il était devenu incontrôlable et était dangereux pour les voisins. Pour le maîtriser, il devait être attaché avec des cordes. Ces dernières ont été si fortement serrées et pendant si longtemps qu’il a développé des plaies qui se sont infectées par après. Dans l’urgence de la situation, ils ont obtenu un document de l’administration attestant qu’ils étaient indigents (« Ba Ntahonikora ») afin de bénéficier de soins médicaux gratuits.
Un mal qui ne vient pas seul
Arrivés au Centre Neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK) communément appelé « Kwa Le Gentil », la famille fut informée que le jeune homme ne pouvait pas être hospitalisé. Les plaies devaient d’abord être soignées et ce service n’était pas offert par le CNPK. La famille consulta l’hôpital Roi Khaled pour les soins des plaies. Là non plus, il ne pouvait pas être hospitalisé à cause de sa santé mentale. Il était trop dangereux pour les autres patients. C’est ainsi que Consolate* et son mari retournèrent à Kayanza pour y faire soigner les plaies de leur fils en espérant revenir à Bujumbura après guérison.
Cette histoire m’a dévastée. Je suis certaine qu’il y a des centaines de Consolate*. Des laissés pour compte qui ne peuvent accéder aux soins médicaux à cause de raisons qui peuvent et devraient être surmontées.
Des milliers de Consolate
Nous étions à la maison à ressasser cette histoire. C’est alors que mon père raconta comment un des ouvriers qu’il employait dans sa ferme agissait d’une manière inhabituelle depuis des mois. Il se doutait d’un problème mental mais avait repoussé sa conclusion le temps de quelques observations. Un jour, une petite foule se rassembla autour de cet ouvrier pour réclamer leur argent et on appela mon père pour rembourser. Après avoir réglé le conflit, il fit entrer le jeune ouvrier dans la voiture et le conduisit ensuite « Kwa Le Gentil » pour prise en charge. Une fois la consultation terminée, il régla la facture, acheta les médicaments prescrits avant de contacter la famille.
Mon père se demandait aussi si certaines crises mentales n’étaient pas liées aux températures élevées de la saison sèche. Il se rappelait que les mois de juin, juillet et août étaient les pires mois de l’année pour les soldats qui souffraient de problèmes mentaux depuis des années. Tiens, les soldats, me dis-je, comment sont-ils pris en charge ? Sont-ils au moins suivis psychologiquement ? Pendant les crises répétitives que notre pays a connues, les soldats ont toujours été aux premières loges, subissant ou participant aux scènes horribles qui ont déchiré notre nation.
Des bars remplis d’éclats de rires mais des têtes qui vont mal
Vous rappelez-vous de mon état d’esprit au début de ce billet ? Je sais, le voyage a été long. Cette fille qui croyait que les troubles mentaux étaient des problèmes d’ailleurs. Dites-vous qu’elle a été suffisamment désillusionnée. Le CNPK, plus connu sous le nom de « Chez Le Gentil », accueille en moyenne 250 patients par jour. Le nombre de patients enregistrés sont ceux qui peuvent se permettre ces soins, car en réalité ils sont chers pour le citoyen lambda. Si on comptabilise la caution de 150.000 BIF à payer au début de l’hospitalisation, le coût élevé des médicaments prescrits, la longue durée des traitements, la nourriture, l’inactivité des membres de la famille qui doivent arrêter leurs activités pour garder le malade, les déplacements pour ceux qui vivent à l’intérieur du pays, les dépenses sont trop élevées pour le commun des Burundais. Nombreux sont ceux qui souffrent de problèmes mentaux sans l’espoir d’accéder un jour à une prise en charge de leur condition. Bref, si nos bars sont toujours remplis d’éclats de rires, nos têtes sont loin d’aller bien.