Le Burundi a tout pour se relever. Mais entre promesses politiques non tenues, mémoire douloureuse et élites usées, la transformation tarde. Et si l’heure était venue de penser autrement le destin national ? Analyse
L’idée me revient souvent, comme un refrain lancinant : et si le Burundi décidait enfin de se regarder en face ? De croire en lui, sans détour, sans surenchère patriotique, sans se perdre dans le confort des slogans ? Et si ce petit pays d’Afrique centrale, trop souvent résumé à ses crises, se projetait résolument dans l’avenir ?
Je fais partie d’une génération qui a vu défiler les présidents, les régimes et les grandes promesses. Tous ont laissé des marques ; peu ont laissé de véritables transformations. Car entre l’ambition proclamée et l’action concrète, le fossé est resté béant. Le Burundi a changé, mais trop peu. Et son peuple, lui, attend encore.
Une jeunesse façonnée par les fractures
Pour comprendre cette attente, il faut remonter à l’enfance. La mienne fut marquée par une atmosphère où les mots « Hutu » et « Tutsi » s’invitaient dans toutes les conversations. Sans que je sache vraiment ce qu’ils signifiaient, ces termes rythmaient le quotidien. Le premier président dont j’ai mémoire est Pierre Buyoya. Avant lui, on évoquait encore Jean-Baptiste Bagaza, présenté par les anciens comme le promoteur d’un début de développement : routes, industries, infrastructures.
Puis 1993. Un nom : Melchior Ndadaye. Un moment historique : la première élection démocratique. Un symbole : celui d’un peuple Hutu longtemps marginalisé qui accédait au pouvoir. Un choc : son assassinat brutal, quelques mois seulement après son élection.
Ce fut le début d’un cycle de violence, d’angoisse, de deuil. Mon regard adolescent s’est heurté à des scènes qu’aucun enfant ne devrait voir. Au milieu de ce tumulte, mon père, chef respecté sur notre colline de Bigwa, a tenu bon. Il a sauvé des vies, apaisé les esprits, résisté à la haine. Il m’a transmis l’essentiel : l’humanité, même dans l’horreur.
2005 : l’espérance Nkurunziza
Quand Pierre Nkurunziza arrive au pouvoir en 2005, c’est une bouffée d’espoir. Ancien maquisard, il parle de foi, de patrie, de renouveau. Il séduit une jeunesse en rupture. J’en faisais partie. J’étais prêt à partir, à tourner le dos à ce pays que je ne comprenais plus. Ses mots m’ont retenu.
J’ai découvert, avec lui, ce que voulait dire « aimer son pays ». Il parlait avec conviction, il croyait en sa mission. Mais avec le temps, l’homme s’est éloigné de ses principes. Le pouvoir isole, le système use. Nkurunziza a perdu le contact avec la réalité. Il est mort debout, fidèle à lui-même, mais enfermé dans une vision figée. Reste l’image d’un président à la fois idéaliste et tragique.
2020 : une paix stabilisée mais un développement au point mort
Son successeur, Évariste Ndayishimiye, a pris les rênes dans un contexte plus apaisé. Surnommé « Neva », il affiche un cap clair : le développement. Mais entre discours et exécution, le chemin est semé d’embûches. L’appareil d’État reste rongé par la corruption, les réseaux d’intérêt, l’habitude du « gain sans effort ».
La volonté de réforme est là. La sincérité du président semble réelle. Mais peut-on changer un système quand tant d’acteurs ont appris à « manger » sans produire ? Peut-on bâtir sur des bases aussi fragiles que l’impunité ? Le Burundi semble engagé dans une lutte de Sisyphe, où chaque pierre posée menace de rouler en arrière.
Le théâtre politique et ses illusions
À force d’observer, un constat s’impose : la politique burundaise est trop souvent une mise en scène. Le discours patriotique est omniprésent, mais rarement suivi d’effets. La religion est convoquée à chaque occasion, non par foi profonde, mais pour galvaniser les foules. Le pouvoir se maintient par la peur, les slogans, l’armée.
Le peuple, lui, continue de danser, de chanter, de s’enthousiasmer. Avant de retomber dans la pauvreté du quotidien. On vote par émotion, rarement par discernement. On élit des visages, des appartenances. Très peu de visions. Pendant ce temps, ministres, directeurs, responsables tombent. D’autres les remplacent, souvent sans compétence, parfois par simple défaut d’alternative.
Changer de boussole
Il est temps de revoir nos repères. Ce n’est pas un parti politique qui construit un pays, ce sont des hommes et des femmes, porteurs de valeurs, d’idées, de courage. Voter pour un logo ne suffit plus. Il faut des cerveaux, des cœurs et des mains propres.
Le Burundi doit sortir de l’ethnisme, de la complaisance et du clientélisme. Le clivage Hutu-Tutsi-Twa ne peut plus structurer notre avenir. Ce qui compte, désormais, c’est la capacité à proposer, à appliquer, à rendre des comptes.
Il nous faut voter avec lucidité. Avec la mémoire. Avec l’intelligence collective. Et si, pour une fois, nous choisissions des dirigeants dont nous n’aurions pas honte ?
Foi, politique et maturité citoyenne
Trop de politiciens instrumentalisent Dieu. Qu’il ne soit plus un outil électoral. La foi doit rester personnelle, profonde, sincère. La politique n’est pas une religion. L’avenir du pays ne se joue pas dans les églises, mais dans les écoles, les fermes, les institutions.
L’heure de la maturité citoyenne a sonné. Le Burundi n’est pas condamné. Il est riche de ressources, d’intelligences, d’énergie. Ce dont il a besoin, c’est d’une génération lucide, exigeante, engagée.
Nous sommes cette génération. Nous ne voulons plus de sauveurs. Nous réclamons des bâtisseurs. Et peut-être qu’en ouvrant enfin les yeux, en cessant de fantasmer l’histoire ou de pleurer le passé, nous comprendrons que le monde n’attend qu’une chose : notre réveil.