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Sorcellerie, vengeance et bûcher : retour sur l’enfer de la colline Gasarara

Certains pourraient penser à une réédition de la célèbre affaire des sorcières de Salem. Gasarara est sortie de l’anonymat de la pire des manières : une soudaine chasse aux sorcières s’est déchaînée et a emporté des vies. Pas une, pas deux, pas trois…, mais six personnes ont été tuées, soupçonnées de pratiquer la magie noire. Difficile d’imaginer comment des voisins, parfois des parents, dans un accès de folie, en sont venus à commettre de telles atrocités. Plus grave encore, même certains administratifs à la base, sans participer activement à cette folie meurtrière, n’ont rien fait pour sauver les victimes.

Rien ne prédisposait la commune de Nyabiraba, plutôt calme ces derniers temps, à ce regain de tension. Pour ceux qui ont déjà pris la RN7, les habitants de Nyabiraba sont calmes et vaquent tranquillement à leurs occupations sans déranger personne. Et pourtant, une publication très courte, mise en ligne le 1er juillet 2025, a failli passer inaperçu, tout le monde ayant les yeux rivés sur la célébration en grandes pompes du 63ème anniversaire de l’indépendance du Burundi. Que disait la brève ? Six personnes auraient été tuées, accusées par leurs voisins ou leurs parents de sorcellerie. Il n’en fallait pas plus pour mettre en branle la rédaction. Le lendemain, nous étions déjà sur les lieux. Mais encore fallait-il savoir exactement où le drame s’était passé. Quelques informations glanées à gauche et à droite nous ont appris que c’est dans la zone Nyabibondo, exactement sur la colline Gasarara, que toutes les six personnes avaient été tuées. Gasarara étant plutôt éloignée, nous avons pris la route le lendemain matin, à cause d’un malheureux contretemps.

Le jour de l’infamie

Faisons un saut de deux jours dans le passé. Nous sommes le lundi 30 juin 2025. Alors que le pays se prépare à fêter les 63 ans d’indépendance, Gasarara s’apprête à vivre un cauchemar. Entre 10 h et 11 h, alors qu’Emmanuel Ngiriyabandi, 79 ans, vaque aux travaux champêtres, il est pris à partie par un groupe de jeunes. Médiatrice Ntirampeba, sa belle-fille, raconte, encore sous le choc : « Un groupe de gens lui est tombé sur lui et l’a roué de coups sauvagement. Ils l’ont amené ensuite à la place du marché de Gasarara. Ils l’ont alors bastonné pour lui faire avouer où il cachait ses fétiches ou gris-gris qu’il utilisait pour tuer les gens. Ils ont fini par le lapider et le brûler vif. »

Après leur sale besogne, ce groupe de gens, complètement enragés, sont alors venus prendre Médiatrice et ses enfants à la maison pour lui demander, à elle aussi, où le grand-père cachait ses fétiches. Médiatrice se souvient : «Ni umukuru w’umutumba yakijije abana bacu Chakedi Ineza et Pacifique Manirakiza » (C’est le chef de colline qui a sauvé Chakedi Ineza et Pacifique Manirakiza, les petits-fils de feu Emmanuel). Sa belle-mère l’a échappé belle parce qu’elle n’était pas là.

La folie meurtrière ne s’arrêtera pas là. Cinq autres personnes, dont Stéphanie Ndayicariye et son époux Libérât Bankamwabo alias Renasiyo, Bénius Misigaro, Annonciate Niyibizi et sa sœur Judith Hakizimana seront exécutés dans la barbarie la plus totale.

Au chevet d’une rescapée

Euphrasie Ndayavugwa, la femme de Bénius, a miraculeusement échappé à la mort. Alors qu’elle passait sur la colline Mugasikuro, des gens sont tombés sur elle, l’ont rouée de coups avant de lui jeter des pierres. Au dispensaire de Gasarara, où elle est hospitalisée, elle n’a pas encore compris ce déferlement de violence dont elle a été victime. Euphrasie a brièvement enlevé son foulard pour nous montrer les dégâts sur son visage. Elle a le visage tuméfié et des plaies profondes sur la tête : « Sinumva ico bampoye, ivyo banyagiriza vy’uburozi sindigera ndabibona » (Je ne comprends pas pourquoi ils s’en sont pris à moi. On me reprochait de posséder des fétiches, que je n’ai jamais vus).

Entre-temps, elle déplore le fait que ceux qui l’ont attaquée lui ont pris son téléphone et une somme de 12 550 Fbu, avant d’aller chez elle et de lui voler trois porcs. Avec un sursaut d’énergie, elle déclare : « Ubutungane bukore ibishoboka vyose ababikoze bahanwe hisunzwe amategeko » (La justice doit tout faire pour que ceux qui ont commis ces forfaits soient punis, conformément à la loi). Sa demande a été exaucée, nous y reviendrons.

Gasarara n’est pas sortie de l’auberge

Dans notre quête de la vérité, nous nous sommes entretenus avec quelques habitants de Gasarara. Certains sont convaincus qu’il y a des morts étranges. Sans soutenir ceux qui ont tué les six personnes, un climat de méfiance s’est installé parmi les habitants de Gasarara et des alentours. Au retour de Gasarara, nous avons proposé au motard qui nous transportait une pause-dîner, histoire de manger une brochette ou deux. Il a répondu qu’on ne pouvait pas manger une brochette ou prendre une boisson n’importe où. Il a ajouté que, quand on atteindrait un bistrot sûr, il me le dirait. Quand on a atteint la colline de Mayemba, il s’est arrêté et on a pu enfin s’alimenter. Mais comme il avait assisté aux entretiens que nous avions menés, le motard est revenu sur l’affaire pour me dire que Gasarara est dangereux, qu’il y a trop de sorciers, même si certains avec qui nous avions parlé ont essayé de me convaincre du contraire. Quelques minutes plus tard, d’autres gars qui nous écoutaient se sont joints à la conversation pour dire eux aussi qu’ils pensaient qu’il y a des « gens méchants » à Gasarara.

Un procès marathon

Retournons maintenant au procès. Le lundi 7 juillet 2025, une procédure de flagrance est rapidement organisée. Sur le banc des accusés, une vingtaine de prévenus, dont le chef de zone de Nyabibondo, le chef de la colline Gasarara, et le chef de la sous-colline Mubira. Le Tribunal de grande instance de Bujumbura, en itinérance, a rejoint Nyabiraba. Un squad d’avocats débarque aussi en force, sans oublier une demi-douzaine de journalistes. La salle des audiences du Tribunal de résidence de Nyabiraba étant exiguë, c’est la salle polyvalente de la commune qui a été aménagée. Et pour cause, une foule immense est venue assister au procès. À 12 h pile, le procès démarre pour se terminer à 20 h 30. Saluons au passage l’endurance des juges qui ont mené des audiences non-stop, sans même prendre le temps d’aller manger.

À la charge des prévenus : des photos accablantes les montrant en pleine action, des enregistrements sonores, des appels passés, des textos. Certains propos sidèrent l’audience. Un certain Aloys admet : « Kizimya yazanye ibihunda aramuturira (avuga Emmanuel Ngiriyabandi), nanje mba bwenyegeze gusa » (Kizimya a amené des feuilles de bananier sèches pour le brûler -parlant d’Emmanuel Ngiriyabandi- moi, je n’ai fait qu’attiser le feu). Un autre fait sidérant : certains prévenus avouent, à la barre, être des parentés de victimes !

Le procureur démontre méthodiquement la culpabilité des prévenus. À la fin, le réquisitoire tombe : perpétuité pour ceux qui ont participé activement à la commission du crime, 3 ans de réclusion criminelle pour ceux accusés de non-assistance à personne en danger. À 20 h 30, la salle étant encore pleine à craquer, la présidente du siège décide de mettre l’affaire en délibéré. Le verdict est fixé pour le lendemain à 12 h.

La justice sépare le criminel de la victime et le criminel de son crime

Le lendemain, après les attendus et les visas d’usage, la juge annonce la sentence : 10 des prévenus sont condamnés à la peine de servitude pénale à perpétuité, 2 sont condamnés à une peine de 20 ans de prison, 4 autres sont condamnés à une peine de 3 ans de prison, tandis que 4 autres sont acquittés. Au total, les condamnés devront verser 165 millions de Fbu aux ayants droit des victimes. Le tribunal spécifie aussi que 10 millions de Fbu seront personnellement versés à Euphrasie Ndayavugwa, toujours hospitalisée au centre de santé de Gasarara, ayant échappé à la mort de justesse.

Justice a-t-elle été faite ? Ferdinand Ngiriyabandi, fils d’Emmanuel Ngiriyabandi, tué et brûlé, remercie le tribunal de leur avoir rendu justice, même si le leur ne reviendra pas. En revanche, il demande à la justice de s’assurer que les dommages et intérêts qui ont été prononcés soient effectivement versés.

 

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