C’est la dernière sortie de la star burundaise qui a sonné le branle-bas de combat dans une réunion de rédaction qui se voulait tout sauf houleuse. Alors qu’elle touchait à sa fin, un collègue a évoqué les propos de Sat-B qui résume cette polémique selon laquelle les stars étrangères viendraient damer le pion aux artistes locaux pour récolter des milliers de dollars au détriment des nationaux payés au lance-pierre, ce qui les maintiendrait dans une précarité lampante. La solution à tout cela, serait-il de bouder les étrangers et de prôner le patriotisme dans la consommation de l’art ou le problème se situerait ailleurs ?
Vendredi, c’est le jour de la grand-messe à Yaga. C’est le rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte, à moins que tu sois mort ou tout au moins en réanimation dans une structure de santé agréée. Au cas contraire, tu te prépares à affronter la colère du grand chef barbu chargé de la planification du travail de la rédaction.
C’est connu, les réunions de toutes les rédactions du monde sont tumultueuses. Il faut savoir défendre, mordicus, son point de vue sur le sujet ‘’on the carpet’’. J’ai eu à travailler dans un certain nombre de rédactions. Parfois, les réunions se transforment en bataille rangée ou les collègues manquent parfois d’en venir aux mains. Ce n’est pas mauvais, et c’est plutôt signe d’une rédaction dynamique. Sauf quand certains le prennent perso. J’ai travaillé dans une rédaction qui s’est scindée en blocs, où nous n’étions d’accord sur rien. C’était la lutte interminable d’egos, plutôt qu’une planification digne de ce nom.
Bref, la réunion de rédac’ a eu lieu, les gens ont discuté, ont élevé la voix, se sont coupé la parole (Dieu merci, ils ne se sont pas invectivés). Les autres ont tout bonnement ‘’chié’’ sur les opinions des autres, certains se sont emportés, d’autres ont fait semblant d’être d’accord, espérant en finir avec cette interminable réunion. Au moment où nous allions lever la séance, une petite voix s’est fait entendre : les propos de Sat-B, on n’en fait rien ? Tout le monde s’est rassis. Une autre réunion venait de commencer.
Nul n’est prophète chez-soi
Pour avoir mangé beaucoup de ‘’bonane’’, c’est moi qui ai pris la parole en premier, avec un peu de doute quand même, car je sentais que mon point de vue risquait d’être en déphasage avec celui de cette bande de jeunots imberbes (pas tous). Je me jette à l’eau : « C’est quoi cette manie de vouloir rejeter la faute sur les autres ? L’art est universel. Personne ne peut m’empêcher de ‘’ swinger’’ sur un air de Chameleone. (La bande de cons s’est esclaffée parce que pour eux, le grand artiste ougandais est un ‘’has been’’). S’ils veulent gagner des millions vos stars de pacotille (je me rappelle avoir utilisé un vocabulaire anglais que j’ai piqué à une collègue : empty stars), ils doivent travailler dur. C’est quoi cette histoire de patriotisme quand il s’agit de l’art. Du n’importe quoi ! C’est l’artiste lui-même qui se donne de la valeur. Les millions le suivent, pas l’inverse ».
Un collègue qui ne tenait plus sur son siège, l’agacement étant à son comble à cause de mes propos provocateurs, a carrément explosé : « Vous voulez dire que Sat-B ne vaut rien ? De quel droit dis-tu cela ? L’Etat doit intervenir pour obliger les sociétés locales à faire recours aux artistes locaux, ils ne vont jamais se développer s’ils ne gagnent pas assez de tunes ! »
Un autre, j’ai appris plus tard que c’est un inconditionnel de Sat-B, a insisté sur le fait que les artistes locaux se saignent pour faire vivre leur art. J’ai même appris qu’ailleurs, en Tanzanie par exemple, la sortie d’un morceau avec des images peut coûter jusqu’à 20 millions de Fbu. Chez nous, un travail de qualité peut coûter au bas mot 5 millions. Pourtant les Tanzaniens peuvent sortir 20 nouveaux morceaux par mois, alors que chez-nous, c’est à peine si on en produit 3. Tout cela parce que certains pays incitent les entreprises ‘’gusapotinga’’ les artistes. Mon collègue a aussi déploré le manque d’une loi sur le sponsoring pour résoudre ce problème, un argument que j’ai trouvé tout à fait fondé. D’ailleurs, ce n’est pas seulement l’art qui profiterait de cette loi, il y a aussi le sport.
Une réunion terminée en queue de poisson
Sur ces entrefaites, celui qui me semble le plus éclairé de la bande a pris la parole. Pour lui, c’est indéniable que les artistes ont besoin d’un encadrement. Cet encadrement passe par le soutien des pouvoirs publics qui doivent d’abord comprendre le rôle important du rayonnement culturel pour une nation. Ce n’est pas en considérant la culture comme ‘’utugenegene’’, frivolités ou futilités pour amuser la galerie, qu’on sortira de l’auberge, je suis convaincu de cela. Et mon collègue d’enfoncer le clou : « Si la musique rwandaise connaît un essor actuellement, c’est parce que le 1er des Rwandais a tapé du poing sur la table pour exiger un soutien conséquent aux artistes de la part des institutions concernées. C’est comme ça que cet écosystème qui a permis aux artistes rwandais d’éclore est né. »
Si Kidumu, Mudibu et consort sont plus connus à l’étranger que chez eux, c’est parce qu’il n’y pas justement cet écosystème où ils peuvent évoluer, a souligné notre collègue. L’art ne se limite pas seulement à la création, même ce niveau nos artistes doivent aussi s’améliorer. Il y a le management dont on peut aussi interroger son rôle et la compétence, la production, mais aussi la distribution. « C’est tout cet ensemble que j’appelle l’écosystème. Si c’est Sat-B qui est obligé de dire ce qu’il a dit, ce n’est pas son rôle, il devrait se limiter à la création artistique. Il l’a fait parce qu’il y a un monsieur assis dans le bureau du ministère ayant la Culture dans ses attributions, rémunéré par les pouvoirs publics, qui ne fait pas correctement son boulot », a conclu notre collègue.
Sur ces propos, le grand chef barbu a levé la séance et la réunion s’est terminée en queue de poisson.
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