Apposer sa signature sur une facture en guise de paiement est un privilège réservé aux plus nantis dans notre pays. C’est un phénomène que l’on rencontre le plus souvent dans les restaurants-bars ou hôtels. Quand tu ne fais pas partie des heureux élus, tu les envies et tu aimerais au moins une fois dans ta vie parapher pour payer. En réalité, que cache ce phénomène ?
Assise dans ce joli restaurant surplombant la ville, je vois arriver trois belles voitures. En sortent des hommes et des femmes bien fringants qui vont occuper une belle table. Dès qu’ils commencent à commander, je vois le propriétaire faire une moue boudeuse. Au bout de trois heures, ils partent et un serveur leur courent après pour qu’ils règlent la note. Un des hommes gribouille sur le papier et s’en va.
Ensuite, le propriétaire peste en regardant la facture : « Encore une signature ! ». Il s’en va en secouant la tête et en engueulant le pauvre serveur. Je m’approche pour lui demander ce qui ne lui convient pas puisque les aimables clients ont reconnu leur dû. Il m’explique : « La signature comme paiement dans les différents établissements s’est généralisée au moment de l’embargo pour ne pas obliger les gros clients à se promener avec beaucoup d’argent en temps de crise. Cela se faisait en accord avec le patron. Il est devenu depuis quelques années une manie : chaque Burundais dont le compte en banque s’est arrondit s’improvise signataire. Et ils ne finissent jamais de payer leurs dettes. »
Le gérant ne mâche pas ses mots : « C’est comme cela que vivent les Burundais nantis ou ‘‘riches’’ : roulant dans de belles voitures, dormant dans de vastes villas mais suintant de crédits à tous les endroits. Ils en accumulent où ils passent sans jamais se poser de questions. Les rappeler pour qu’ils viennent payer est une perte de temps et d’énergie. Ils paient la moitié et recommencent. Je préfère quand ce sont des gens moyens parce qu’eux, au moins, ils règlent sans problème. »
Une situation généralisée
Intriguée par ces affirmations, je demande confirmation à un de mes amis, gérant d’un bar-restaurant-hôtel à Ngozi. Il me sort une liste de factures impayées avec signature et numéros de téléphone dessus. Cela se chiffre en milliers de francs burundais. Face à mon étonnement, il réplique: « Comment on en arrive à tenir un carnet pareil ? Quand tu as ce qu’on appelle un restaurant de ‘‘luxe’’, les clients aisés signent mais n’honorent jamais leur engagement. Ils font des tournées, fréquentent les meilleurs endroits mais ils ont tous des dettes qui pendent à leur cou. Et quand tu les rappelles à l’ordre, ils te rétorquent : ‘‘Sais-tu qui je suis ?’’ ».
Pour ce jeune gérant, être une personnalité importante au Burundi et payer avec une signature est comme un sport national. Partout dans les bars, restaurants ou cafés, il y aurait selon lui un carnet de signature de personnalités qui commandent des choses sans jamais les payer : « Parfois, ils s’en acquittent mais s’enfoncent encore plus dans un gouffre sans fin. Et tu ne peux pas menacer quelqu’un qui a une garde parce qu’il part sans payer une facture. »
Que faire ?
Face à ce constat, j’ai partagé les plaintes de ces derniers avec certains propriétaires plus anciens et plus chevronnés dans le métier.
Sylvain, 60 ans, propriétaire de bars depuis 30 ans a trouvé une solution : « Quand tu possèdes un bar, tu ne seras jamais à l’abri d’impayés. Néanmoins, pour toutes ces personnes qui ‘‘aiment’’ parapher, je leur ai proposé d’ouvrir un compte dans mon bar et d’y mettre une certaine somme. Si elle est finie, ils ne consomment plus. Cela ne marche pas dans tous les cas mais ça aide à endiguer le trou financier.»
Etre perçu comme « riche » au Burundi est une question de survie pour certains. Quand ils sortent, il faut qu’ils amusent la galerie et épatent leurs amis même si cela signifie vivre au-dessus de ses moyens. Ils oublient que la moindre facture impayée est retranchée dans le salaire de misère que reçoit le serveur et que par contre, «tout pauvre sans dettes est un homme riche. »
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