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La Res publica serait-elle, aujourd’hui, impossible au Burundi ?

Si la Res publica ou l’intérêt général est bien une clé de passage entre le conflit et la paix, alors s’agit-il de faire, actuellement au Burundi, un rêve impossible ou d’espérer une terre promise vers une inaccessible étoile ? Ceux qui, lorsque les choses vont mal, ne pensent qu’à réformer la Constitution au risque d’en trahir les principes, devraient se souvenir de la leçon de Montesquieu : « Lorsqu’on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois ; il vaut mieux les changer par d’autres mœurs et d’autres manières. »

Plus notre présent se déshumanise, plus la sagesse antique constitue pour nous un trésor de vérités premières. Athènes nous a appris le culte de la Cité, la force de la loi, l’intelligence du logos, la façon d’exercer le pouvoir à la manière de Périclès, le pionnier pur et dur de la démocratie.

Rome nous a légué l’ordre de l’État, la rigueur du droit romain. L’exceptionnelle crise globale que nous vivons au Burundi, nous incite à retrouver la sagesse de l’Antiquité. Face aux forces contradictoires qui animent en permanence le débat public, en opposant le conflit des intérêts au dialogue des esprits, la Res Publica, la chose publique ou le bien commun, offre un rocher sur lequel viennent se briser les prétentions humaines en vue d’unir les êtres de bonne volonté.

Res publica, vous dîtes ?

Chez les Romains res publica était utilisée comme synonyme de utilitas publica, de salus publica ou encore de res Romana. Dans cette acception du terme, res publica visait à désigner le bien-être. Les premiers romains désignaient sous ce mot la « chose publique » sans plus de détails. La chose publique est un concept qui se réfère à un Etat gouverné en fonction du bien du peuple, par opposition à un Etat gouverné en fonction du bien privé des membres d’une classe ou d’une personne unique. Cette formule romaine et latine n’est pas mythique ni seulement philosophique. Elle correspond au bien public ou au bien commun, que les références, juridiques de l’intérêt général et politiques de la volonté générale, sont venues compléter et illustrer.

Au moment où le 20ème siècle a donné naissance à des idéologies de mort et de mépris de l’homme dont les sinistres figures ont été le nazisme et le stalinisme, avec les ghettos, le goulag, la Shoah. Ces maladies diaboliques ont été vaincues un moment par la victoire des Alliés en 1945. Le 21ème nous réserve une dérive d’un autre ordre, faisant apparaître la crise de Res publica, un regain de brutalité et une politique qui semble vide.

Ce constat ne peut pas passer inaperçu dans notre pays. Presque tous les domaines de la vie publique sont colorés au rouge. Peut-on qualifier aujourd’hui d’utopique la vision d’un Burundi émergent en 2040 et développé en 2060, compte tenu des blocages persistants ?

L’Europe, après la 2ème guerre mondiale, a été entraînée par des hommes politiques imprégnés de l’esprit de paix et éclairés par des convictions spirituelles. Ainsi en 1950, les responsables, partageant les mêmes convictions, Robert Schumann, Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer, ont permis en 1957 le Traité de Rome, ouvrant la voie à l’Union Européenne. Comment aujourd’hui les hommes politiques burundais ou les jeunes s’éduquent en vue d’arriver en cette terre promise de 2060 ? Certes, les grandes questions perdurent et ne trouvent pas de solutions durables. Aujourd’hui, l’entrepreneur, l’homme politique et le grossiste sont difficiles à différencier. Tout semble mêler d’autant plus que chacun regarde ses petits intérêts et tous tombent dans une indifférence civique croissante.

Distinction entre Le politique et La politique

La perte du sens de Res publica est le constat évident d’une vie publique au Burundi qui s’est progressivement éloignée des principes, non pas simplement traditionnels mais de valeur universelle, de la sagesse des nations. En fond de tableau, notre génération perd de repère surtout que la distinction fondamentale entre LE politique et LA politique est essentielle pour comprendre la confusion qui détruit le sens de la chose publique. LE politique (la Politeia) a pour objectif idéal une œuvre liée exclusivement à l’intérêt général et repose sur l’effacement de l’individu devant le service du public.

Ainsi, le politique concerne l’ensemble des citoyens. Par contre LA politique cultive le moyen de parvenir au pouvoir, en prenant le risque de la division par les conflits idéologiques et partisans. En définitive, LE politique, c’est l’art de faire la paix, et LA politique se détruit parfois elle-même en devenant, selon la définition de Paul Valéry : « Le moyen d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde ». Pour ce, les différentes confessions religieuses, les organisations civiles et même d’autres groupements des citoyens peuvent contribuer, redresser, exhorter le pouvoir en place en faisant Le politique sans se mêler dans La politique.

La chose publique nous laisse espérer une terre promise !

Nous avons de la peine à appréhender l’avenir, car nous avons l’habitude d’amplifier le présent qui nous rend aveugle aux perspectives, mais sur la route de la terre promise, les arbres morts qui tombent font plus de bruit que la forêt qui pousse. Mais la Res Publica ne peut être acquise que si on en est digne par le mérite et l’effort. Cela nous demande un changement de mentalité du citoyen lambda au plus grand responsable de la nation. Quelques fois commencer par de très petites choses. Qu’un petit élève accepte de passer devant l’école sans briser les vitres de la salle de classe par une pierre, qu’un homme politique prenne le choix de se consacrer à la politique sans envier le grossiste. Notre pays a besoin de retrouver une boussole, particulièrement le trésor des principes enracinés dans l’âme humaine.

Oui ! « Il est grand temps de rallumer les étoiles », selon Guillaume Apollinaire. Pour ce, nous avons le devoir de faire vivre nos institutions, de maîtriser les forces en présence, de consentir les exigences indispensables.

 

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