Le 3 mai de chaque année, c’est la journée mondiale de la liberté de la presse. Au Burundi, depuis un certain temps, on constate une prolifération des médias, surtout en ligne. Ils sont aujourd’hui très nombreux. Difficile de parler de la liberté de la presse sur la seule base de la multiplicité des médias, a fortiori, quand une journaliste vient de voir sa peine confirmée en appel. Un blogueur nous fait part de ses doutes.
Quantitativement, le monde médiatique s’élargit de plus en plus, au Burundi. « Le répertoire médiatique n’a cessé de s’élargir en passant de 179 médias à 237 toutes catégories confondues », lit-on dans le rapport annuel d’activités du Conseil National de la Communication (CNC) 2021-2022.
Parmi eux, on dénombre, dans ce rapport, 61 journaux en ligne, 25 journaux Web TV, 26 radios communautaires et 25 radios locales. Il faut noter qu’il y en a qui ne sont pas encore enregistrés ou reconnus légalement.
Par ailleurs, cet organe étatique de gestion et régulation des médias indique que du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, il avait déjà enregistré 2182 journalistes et techniciens de l’information en provenance de diverses catégories professionnelles.
Via ce rapport, il est également précisé que 1436 cartes de presse ont été délivrées jusqu’à présent dont 220 cartes pendant la période 2021-2022. A cela, il faut ajouter une dizaine d’associations de professionnelles et organisations partenaires des médias.
La pluralité seule ne suffit pas pour parler de la liberté de la presse
Pas facile en ce jour du 3 mai 2023 de parler de la liberté de la presse quand une journaliste, Floriane Irangabiye en l’occurrence, vient de voir sa peine de 10 ans de servitude pénale et d’une amende de 1 millions de Fbu confirmée en appel.
Pour certains observateurs, pour un pays de 27 834 km2, ces médias sont très nombreux et leur contribution à la promotion de la liberté de la presse reste très minime. Une façon de dire que ce n’est pas la multiplicité des médias qui doit, à elle seule, être tenue en compte quand il s’agit de la liberté de la presse. « Aujourd’hui, quand tu organises une conférence de presse ou une activité, on voit débarquer beaucoup de journalistes même ceux qui n’ont pas été invités. Le grand problème est qu’après, ils réclament qu’on leur donne des perdiems », se lamente un des hommes de la société civile, contacté. Or, poursuit-il, ce n’est pas une obligation de leur octroyer les frais de déplacement.
Précarité, l’autre handicap
Pour lui, la préoccupation de la plupart de ces ‘’journalistes’’ n’est pas l’information mais ce petit billet de 10 mille Fbu ou 5 mille Fbu. S’exprimant sous anonymat, il doute même que ces différents médias soient tous enregistrés au CNC ou qu’ils aient des adresses physiques connues.
Insistant sur l’état financier des médias, ce militant des droits de l’homme se demande comment un ‘’journaliste’’ qui n’est pas payé, qui n’a pas de contrat de travail, qui ne parvient pas à joindre les deux bouts du mois peut être indépendant dans le traitement de l’information.
Poser des micros ou poser des questions ?
« Je pense qu’il y a même une certaine complicité de certains cadres dans la multiplication de ces médias en ligne. ils veulent peut-être montrer que la liberté de la presse est une réalité et casser les médias traditionnels jugés indépendants », commente-t-il, soulignant que la liberté de la presse ne passe pas par la prolifération des médias mais par le traitement professionnel de l’information.
C.B, un autre habitué du paysage médiatique burundais souligne le fait que certains médias n’ont pas les moyens de fonctionnement. « Ils sont là pour caresser le gouvernement, les autorités dans le sens du poil afin de gagner leur sympathie pour avoir des moyens de subsister », explique-t-il, déplorant aussi les lacunes dans le traitement de l’information.
Il qu’il confie son désarroi quand il entend aujourd’hui qu’un journaliste peut empêcher son collègue de poser telle ou telle autre question. « Cela signifie qu’ils servent deux maîtres différents. Or, la principale mission d’un journaliste c’est d’informer sans penchant », déclare-t-il, rappelant que des médias indépendants constituent un des piliers de la démocratie. Et de se résumer : « Pour le cas qui nous concerne, et de façon globale, la liberté de la presse n’est pas encore là. On constate que certains sujets ne sont presque plus abordés parce que les journalistes ont peur des conséquences. L’autocensure s’installe de plus en plus ».
« L’information parfois mise à rude épreuve par « l’infox » ou « l’intox » »
Didier Bukuru déplore quant à lui que dans la plupart des cas, les animateurs (acteurs) de ce type de journalisme n’ont pas le profil académique adéquat : « C’est-à-dire qu’ils n’ont pas fait une formation académique y relative. Ici, la déontologie peut s’en trouver bafouée. Ainsi, l’information est souvent mise à rude épreuve par « l’infox » ou « l’intox ». Ce qui désoriente le consommateur de l’information ».
D’après lui, certes avec les facilité qu’offre l’informatique, il y a liberté d’opinion, mais certains en abusent pour calomnier, mentir, désinformer, ranger les populations derrière une seule idéologie.
De beaux jours devant, mais …
Pour d’autres observateurs, la multiplicité des médias en ligne est un avantage. « Ce que l’on appelle dans le jargon, l’E-journalisme, autrement dit le journalisme électronique », analyse Didier Bukuru, journaliste et communicateur. Ce vétéran de la presse nationale et internationale indique qu’il s’agit là effectivement d’une « nouvelle forme » de la liberté de la presse.
« Nouvelle forme par rapport à celle que l’on connait traditionnellement, avec la radio, la télé et les journaux. Avec le journalisme électronique, l’information n’est plus aussi périssable qu’avant. L’instantané permet d’être tenu informé en temps réel », explique-t-il, notant que c’est d’ailleurs l’idéal pour les lanceurs d’alertes et autres défenseurs des droits humains qui volent au secours des opprimés.
Que faire ?
Pour que la pluralité des médias soit un catalyseur de la promotion de la liberté de la presse, Didier Bukuru propose qu’il y ait beaucoup de formations en la matière pour les animateurs de cette presse, mais aussi une réglementation y relative moins contraignante (répressive).
Il suggère aussi que les propriétaires des plateformes des médias en ligne tiennent plus compte des considérations salariales du personnel avec des barèmes pouvant éloigner le journaliste de toute tentation malveillante.
Aux pouvoirs publics, M. Bukuru leur demande de considérer cette presse comme un véritable partenaire moderne et outillé dans le renforcement de l’Etat de droit.